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par sa bouche ; il se rappelle qu’il est né à Madrid, qu’il a été élevé à la cour, et oubliant trente années passées depuis au milieu des barbares, il vise au beau langage, cherche des oppositions, prépare des effets et fait du galimatias.

Pour Gomara, c’est tout autre chose ; historien de profession, et embrassant dans son récit les évènemens d’un demi-siècle dans toute une moitié du monde, ce n’est que très rarement qu’il peut parler d’après ce qu’il a vu. Obligé de puiser à toutes les sources d’informations, même aux plus suspectes, il a eu sans cesse à comparer des témoignages discordans, à les contrôler l’un par l’autre, et il a acquis dans cet exercice un tact assez délicat pour que la critique malveillante des contemporains n’ait pu découvrir dans son livre que de très légères erreurs. Ne prenant dans les différentes versions relatives à un même fait que ce qui s’y trouve de commun, il est en général fort sobre de détails. Les trois lignes que nous avons citées expriment donc, non pas tout ce qu’il a appris, mais tout ce qu’il croit de la merveille naturelle de l’île de Fer, et l’opinion d’un pareil homme n’est certainement pas sans quelque poids.

Nous avons au reste sur ce sujet ce qui vaut mieux encore que des opinions, nous avons des observations directes, et dont l’authenticité n’est pas douteuse. La plus complète n’est connue que depuis un demi-siècle environ ; elle fut trouvée par don Jose de Viera y Clavijo dans un traité sur les Canaries, écrit deux cents ans auparavant, et conservé jusque-là dans les archives du pays. M. Bory de Saint-Vincent ; dans son Essai sur les îles Fortunées, a cité ce passage en l’abrégeant. Je crois devoir le donner en entier.

« Le lieu où se trouve cet arbre, dit Galindo, porte le nom de Tigulahe, qui est aussi celui de tout le canton ; c’est un enfoncement étendu en forme de vallée depuis la mer jusqu’à un grand mur de rochers qui en forme le fond. Non loin de ce rocher est né l’arbre saint ou Garoé, comme l’appellent dans leur langue les gens du pays. Quoique fort vieux, il est encore entier, sain et frais, et ses feuilles continuent toujours à distiller une assez grande abondance d’eau pour donner à boire à toute l’île ; merveilleuse fontaine par laquelle la nature remédie à la sécheresse du sol, et pourvoit aux besoins des habitans.