Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/584

Cette page a été validée par deux contributeurs.
580
REVUE DES DEUX MONDES.

puiser, bientôt ils trouvèrent trop pénible de remonter jusque-là, et les dernières compilations ne se composèrent plus que de lambeaux des premières, cousus et brodés de manière à déguiser un peu le vol.

Ce n’était pas en parlant des grands évènemens de la découverte ou de la conquête des nouveaux pays qu’ils pouvaient donner carrière à leur imagination ; mais ils trouvaient d’ailleurs amplement à se dédommager de cette sorte de contrainte lorsqu’il était question d’histoire naturelle. Non-seulement ils mirent en circulation une foule de fausses notions dont quelques-unes ont encore cours aujourd’hui ; mais, ce qui est plus grave peut-être, ils eurent le talent de rendre complètement incroyables certains faits qui, d’abord, n’étaient qu’étranges, et ils empêchèrent ainsi les gens sensés de s’en occuper jusqu’à ce qu’il n’existât plus, pour ainsi-dire, de moyens de vérification. C’est ce qui est arrivé pour le fameux arbre saint des Canaries, dont il était devenu ridicule de parler depuis qu’un philosophe, à qui on doit d’ailleurs d’admirables préceptes pour l’étude des sciences naturelles, eut déclaré, avec une précipitation peu conforme à ses principes, que l’histoire tout entière n’était qu’un ramas de mensonges indignes de fixer l’attention.

Avant que de dire en quoi consistait cette merveilleuse histoire, il est nécessaire de reparler un peu du pays qui en fut le théâtre.

Les Canaries, comme je l’ai dit, avaient été connues des anciens, et elles furent, même dans les premières années de l’ère chrétienne, le but d’une expédition toute scientifique, ordonnée par un roi de Mauritanie, le second des Juba, prince zélé pour les progrès de l’histoire naturelle, dont il s’occupait lui-même avec succès. La relation de ce voyage est perdue, mais les renseignemens qu’elle procura ont été en partie conservés. On les trouve dans les écrits de Pline l’Ancien, qui, né l’année même de la mort de Juba, semble avoir eu communication des écrits que ce prince avait laissés. Pour Solin, dans ce qu’il nous dit des Canaries, il ne fait, comme à son ordinaire, que copier Pline en le défigurant.

Les émissaires du roi Juba trouvèrent aux Canaries des chèvres et des chiens ; de là le nom de Canaria, qu’ils donnèrent à la plus grande des îles, et celui de Capraria, par lequel ils désignèrent,