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de la raison, dont les actes sont réfléchis et volontaires, elle a, dans sa prévoyance infinie, donné à l’intelligence un autre instrument générateur qui agit spontanément et sans attendre l’ordre de la volonté. L’imagination est cet agent, et l’on peut juger de sa puissance, en étudiant les littératures populaires. On peut encore se faire une idée de son énergie, en voyant comment l’imagination fait et défait les langues. La raison, il est vrai, les perfectionne et les régularise ; mais c’est l’imagination qui les invente, les entretient et, quand il en est temps, les brise et les renouvelle. Une langue ne meurt que quand elle n’offre plus rien à faire à l’imagination. Est-ce ici un emblème et un symbole ? En sera-t-il ainsi de tout le reste ? Pour mon compte, je le crois. Le jour où la poésie aura accompli sa tâche ; le jour où l’imagination, après avoir épuisé toute la série possible des rapports qui lient Dieu, la nature et l’homme, n’aura plus rien à faire dans le monde ; le jour où la science aura proclamé le mot qu’elle cherche et dont elle a aujourd’hui à peine épelé quelques syllabes, l’ensemble des phénomènes actuels que l’on appelle Univers, devra se présenter à nous sous un nouvel aspect. Quand l’homme et le monde se seront compris, l’un ou l’autre devra disparaître, comme une langue usée disparaît pour faire place à un idiome plus compréhensif, à un autre Verbe.


Charles Magnin.