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assez pour l’épopée de faire vibrer, comme la tragédie, les cordes les plus douloureuses du cœur humain, ou de reproduire, comme la muse paysagiste et descriptive, le miroir des lacs, l’azur du ciel, la voix des montagnes ; au-delà de l’homme et du monde, la poésie épique cherche Dieu ; elle n’est pas seulement humaine et cosmogonique ; elle est surnaturelle et divine. Point d’épopée sans merveilleux, a-t-on dit avec raison ; c’est-à-dire, point d’épopée si ce n’est à la condition d’apporter ou d’exposer de nouvelles solutions religieuses. Envisagé de ce point de vue, qui est le seul vrai, le discours de Bossuet sur l’Histoire universelle est incomparablement plus épique que la Henriade. En effet, une épopée n’est pas seulement une narration métrique, partagée en douze ou en vingt-quatre chants ; c’est une tentative ou une application plus ou moins hardie, plus ou moins nouvelle de théodicée.

Ce qui a surtout manqué aux épopées chrétiennes qui ont suivi celle de Dante, c’est précisément ce caractère de nouveauté religieuse. Si la Messiade et le Paradis perdu, malgré la puissante inspiration biblique qui les a dictés, n’ont pas produit sur l’imagination des peuples le même ébranlement que la Divine Comédie, c’est que ces deux poèmes ne formulaient pas pour la première fois, comme cette dernière, de nouvelles solutions religieuses ; c’est qu’ils n’offraient pour différences que les négations presbytériennes et les restrictions du luthéranisme ; c’est enfin que, sous le rapport de la conception théosophique, ils manquaient sinon de grandeur, au moins de nouveauté. L’épopée chrétienne par excellence, c’est le poème de Dante. La Divina Comedia est l’expression poétique du christianisme orthodoxe, du catholicisme plein de jeunesse et de foi. En s’affaiblissant, ou, pour mieux dire, en marchant de nos jours vers un développement plus ou moins panthéistique, le christianisme a soulevé de nouveaux problèmes, ouvert de nouvelles perspectives, et rendu ainsi la grande poésie, la poésie religieuse, l’épopée possible. Ahasvérus est l’expression de ces croyances encore à l’état de chrysalides et à la veille de déployer leurs ailes. Nous ne voulons pas rendre à M. Quinet le mauvais service de comparer son livre né d’hier à un poème justement admiré depuis cinq siècles. À Dieu ne plaise ! mais nous devons dire que l’auteur d’Ahasvérus a voulu faire l’é-