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un tombeau, c’est pourtant la voix d’un monarque, mais d’un monarque chrétien ; c’est le vieux roi Dagobert qui s’entretient avec saint Eloi : ils s’attristent des signes manifestes qui dénotent l’approche de la fin du monde. La terre a vieilli ; la mort a beaucoup moissonné. Mob, la vieille Mob, éternelle comme Ahasvérus, va commencer à se mesurer de plus près avec l’humanité. Le drame se complique : la lutte approche. Mob ne peut rien sur la vie d’Ahasvérus ; mais elle peut glacer son cœur ; refroidir sa foi, tuer ses illusions ; elle peut mêler son spectre à tout ce qui doit faire la consolation de la vie humaine. Ainsi fait-elle. Un ange autrefois, aujourd’hui une femme, Rachel a eu pitié d’Ahasvérus. Au moment où le Christ l’a maudit, elle a oublié le Dieu souffrant pour l’homme condamné et malheureux. Exilée du ciel, Rachel a dû quitter la ville de Dieu, pour venir habiter la maison de Mob ; elle est sa servante ; mais, si Rachel déchue n’est plus la foi céleste, elle est sur la terre l’amour sans fin, la foi éternelle, le complément d’Ahasvérus. Celui-ci n’est pas seulement la vie, il est la matière, le doute, la douleur ; Rachel est l’espoir éternel, la foi éternelle, l’amour infini : il fallait ces deux élémens pour compléter l’humanité ; Rachel est une ame d’ange avec un corps de femme ; c’est un de ces êtres tombés tout exprès d’en haut pour la réhabilitation de l’homme ; une essence presque divine, qui doit passer par l’amour humain avant de remonter à son premier séjour. Mob, l’impitoyable Mob, raille incessamment la pauvre fille sur ses souvenirs d’autrefois. « Qu’as-tu à faire de regarder toute la journée, assise sur ta chaise de paille, un coin du ciel, à travers la vitre de ta fenêtre ? Tu n’y rentreras plus dans ce monde des rêves. » Elle y rentrera pourtant, mais plus tard ; elle y rentrera quand elle aura triomphé de Mob ; après un rêve infini d’amour terrestre, elle se réveillera dans l’infini de l’amour divin.

La rencontre que fait Ahasvérus de Mob et de Rachel à Worms change toute sa destinée. Il approchait de cette ville, haletant, épuisé, comme un autre Mazeppa, et implorant la mort. Son pauvre vieux cheval trop éperonné, trop chargé des soucis de son maître, a senti le premier le voisinage de Mob ; il tombe et meurt à la porte de la ville. Ahasvérus n’éprouve qu’une défaillance. Il entre dans la cité où, pour la première fois, les bourgeois le fêtent :