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DE LA NATURE DU GÉNIE POÉTIQUE.

voix d’airain qui résonne dans ses oreilles. Mais qu’aperçoit-il, en se retournant, à la porte de sa maison ? Un ange de mort, saint Michel, appuyé sur la crinière noire d’un cheval qui sue le sang. C’est le cheval Séméhé, qui errait, nuit et jour, depuis le matin du monde. Il faut le monter, et partir dès que la nuit sera venue. Il obtient de l’ange d’embrasser son père, sa sœur et ses petits frères, et de dire un dernier adieu au banc et au seuil paternels. Enfin Ahasvérus, précédé par les oiseaux de nuit, les émerillons et les vautours, se met en marche pour l’Occident. Après un premier tour de la terre, les pieds de son cheval frappent les feuilles mortes de la vallée de Josaphat. Au voyageur, fatigué dès le premier pas, cette vallée aride paraît plus belle qu’une ville bruyante avec ses minarets, ses créneaux et ses palais d’émir. Il voudrait s’y reposer sur une pierre, boire une goutte d’eau de sa source limoneuse ; mais la vallée impitoyable le repousse ; la nature répète contre lui la malédiction prononcée par le Christ. Il n’obtient pour réponse à chacune de ses prières qu’un écho de l’arrêt du Golgotha.

Cependant, pour venger la mort du juste, d’autres voyageurs, éperonnés par Dieu même, franchissent les forêts, les monts et les fleuves sur leurs étalons sauvages. Les Goths, les Huns, les Hérules accourent, à l’envi, au lieu où s’est abattue la cavale de Rome que leurs serres vont déchirer. L’Éternel, qui voit passer cette meute de barbares, les lance contre le vieux monde romain, comme jadis il avait lancé contre le jeune monde oriental les flots du déluge.

Ici survient un second intermède.

Le hennissement des coursiers d’Attila rappelle au poète la France et ses chevaux de bataille, ces bons chevaux qui se souviennent quelle herbe sanglante ils ont rongée à Lodi, à Castiglione, à Marengo, et qui crient encore : Menez-moi paître au champ de gloire ! Quant à nous, leurs maîtres, qui les conduisons aujourd’hui par la bride dans un chemin où ne croît que la honte, le poète ne nous adresse que des paroles rudes et sévères, dans le goût des âpres conseils qu’Aristophane et Eschyle adressaient, par la voix du chœur, aux Athéniens.

Avec la troisième journée (la Mort), nous entrons dans le moyen-âge. Cette voix mélancolique que nous entendons sortir, à minuit, de cette tour crénelée, qui se penche sur le Rhin et qui ressemble à