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REVUE DES DEUX MONDES.

Moi je vais à Golgotha ; toi, tu marcheras de ruines en ruines, de royaumes en royaumes, sans atteindre jamais ton Calvaire ; tu briseras ton escalier sous tes pas et tu ne pourras plus redescendre. La porte de la ville te dira : Plus loin, mon banc est usé ; et le fleuve où tu voudras t’asseoir te dira : Plus loin, plus loin ; n’êtes-vous pas ce voyageur éternel, qui s’en va de peuples en peuples, de siècles en siècles, en buvant ses larmes dans sa coupe, qui ne dort ni jour ni nuit, ni sur la soie, ni sur la pierre, et qui ne peut pas redescendre par le chemin qu’il a monté ? Les griffons s’assiéront, les sphinx dormiront ; toi, tu n’auras plus ni siège, ni sommeil. C’est toi qui iras me demander de temple en temple, sans jamais me rencontrer. C’est toi qui crieras : Où est-il ? jusqu’à ce que les morts te montrent le chemin vers le jugement dernier. Quand tu me reverras, mes yeux flamboieront ; mon doigt se lèvera sous ma robe pour t’appeler dans la vallée de Josaphat.

UN SOLDAT ROMAIN.

L’avez-vous entendu ? Pendant qu’il parlait, mon épée gémissait dans le fourreau ; ma lance suait le sang ; mon cheval pleurait. J’ai assez long-temps gardé mon épée et ma lance. En écoutant cette voix, mon cœur s’est usé dans mon sein. Ouvrez-moi la porte, ma femme et mes petits enfans, pour me cacher dans ma hutte de Calabre.

LA FOULE.

Qu’ai-je à faire de monter plus loin jusqu’au Calvaire ? S’il était par hasard un dieu d’un pays inconnu, ou bien encore un fils que l’Éternel a oublié dans sa vieillesse ? Avant qu’il nous puisse reconnaître, allons nous enfermer dans nos cours. Éteignons nos lampes sur nos tables. Avez-vous vu la main d’airain qui écrivait sur la maison d’Ahasvérus : Le Juif errant ? Que ce nom ne reste pas sur la pierre ! que celui qui le porte soit le bouc de Juda ! Quand il passera, Babylone, Thèbes et le pays d’alentour ramasseront une pierre de leurs ruines pour la lui jeter ; mais nous, sans plus jamais quitter notre vigne, nous remplirons pour la Pâque nos outres de notre vin du Carmel. »


Cependant Ahasvérus est resté comme frappé du tonnerre : un peu revenu de sa stupeur, il veut rentrer chez lui et demander à sa sœur Marthe de lui chanter un cantique ; il espère ainsi chasser la