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DE LA NATURE DU GÉNIE POÉTIQUE.

mées d’un souffle de vie. Ils se mettent aussitôt à l’œuvre, écrasent sous leurs pieds les crocodiles, broient de leurs mains le limon, élèvent des murs gigantesques, couvrent les rochers de runes et d’hiéroglyphes. Cette race ouvrière ne voit rien au-delà de la terre et du firmament. Irrité, le Père Éternel envoie son fidèle Océan effacer sous ses flots cette ébauche de vie dont il est mécontent. L’Océan noie la terre dans le déluge.

Sur le sol à peine étanché, s’agitent de nouvelles tribus moins terrestres. Elles cherchent en tous lieux les pas du Créateur ; elles le demandent à toute la nature ; inquiètes, pour le trouver, elles se mettent en marche, et partent comme les oiseaux voyageurs quand l’heure du départ est venue. L’une descend le long des rives du Gange ombragées de figuiers et de pamplemousses ; l’autre prend le griffon pour guide jusqu’au pays d’Iran ; la troisième suit le vol silencieux de l’ibis qui s’abat dans les plaines où les sphinx de pierre se creusent un lit dans le sable. Ainsi commencent les longues migrations de l’humanité.

Dans une claire nuit d’orient, la lune, une étoile, une fleur du désert et les flots de l’Euphrate qui murmurent sous les saules, nous révèlent les délicieux mystères de la nature orientale, doux concert que viennent troubler un soupir d’esclave, une parole de roi, un chœur de prêtres. L’histoire des siècles qui n’ont pas d’annales nous est racontée par la bouche des sphinx. À ce chant viennent se mêler les voix de Thèbes, de Ninive, de Persépolis, de Palmyre. Tout à coup Babylone, l’aînée de ces villes, propose de ne faire qu’un seul dieu de tous leurs dieux. Que chacune jette en un même creuset ses amulettes et ses images sacrées ; et qu’il sorte de la fournaise une idole immense, aussi grande que l’univers. On se met à l’œuvre ; mais avant la fin du travail, Jérusalem accourt ; elle n’apporte pas d’idoles, mais une nouvelle : cette nuit, avant le jour, ses prophètes lui ont montré dans Bethléem un Dieu né dans une étable. Une étoile brille au firmament ; trois rois Mages, députés de l’Orient, vont adorer le Dieu nouveau-né. Dans sa chaumière, sur laquelle chantent les petits oiseaux et les rossignols, le Christ qui s’éveille reçoit les Mages et les bergers. Les rois lui offrent un grand calice de vermeil, dans lequel ont bu tous les rois du monde, et une pesante couronne garnie de clous