Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/542

Cette page a été validée par deux contributeurs.
538
REVUE DES DEUX MONDES.

regardaient le pouvoir dithyrambique comme la poésie élevée à sa plus haute puissance. Chez eux, les facultés de l’imagination étaient l’objet d’un culte ; ses dons étaient réputés divins. Ils laissèrent même pénétrer induement l’imagination dans des genres où elle ne devait avoir que peu ou point d’accès, dans l’histoire et dans la critique, par exemple. Chez nous, au contraire, l’imagination, ce pouvoir créateur, cet instinct investigateur souvent si merveilleux et si sûr, a été long-temps subordonné à la plus restrictive de nos facultés. On croyait, dans le dernier siècle, être suffisamment poli avec l’imagination en l’appelant, avec Mallebranche, la folle du logis ; on ne lui permettait que le conte de fée. Mais ce dédain ne pouvait durer ; la nature ne perd pas ainsi ses droits : l’homme ne possède pas aujourd’hui une faculté de moins qu’il y a mille ans. Au bruit du canon des Pyramides, de Marengo, de la Moskowa, nos imaginations, un instant engourdies, se sont réveillées. Nous n’avons pas touché impunément le sol de l’Égypte et battu des mains à la vue des murs de Thèbes ; nous ne nous sommes pas assis impunément au foyer de l’Allemagne, cette terre de la rêverie ; nous n’avons pas bivouaqué impunément sous les créneaux moresques de l’Alhambra ; Napoléon n’a pas fait inutilement appel à cette faculté qui enfante des miracles. Après le grand drame de l’Empire et de Sainte-Hélène, la France eût été la plus idiote des nations si elle se fût rendormie platement dans la poésie du xviiie siècle. Une ère nouvelle d’enthousiasme devait s’ouvrir, et elle s’est ouverte. Dans tout ce qui est art, la folle du logis est redevenue reine et maîtresse. Maintenons-la dans sa royauté, mais empêchons qu’elle ne s’élance hors de ses frontières. Ne la laissons pas rentrer dans les positions qu’elle a justement perdues, dans l’histoire, dans la philosophie, dans la critique ; sa part est assez belle pour qu’elle s’y tienne. Tout ce que la science n’a pas éclairé, voilà son empire. Tout le côté inexploré de l’intelligence, tous les siècles obscurs de l’histoire lui appartiennent. Jamais circonscriptions ne furent mieux établies ; jamais hémisphères n’ont été plus nettement séparés. Géographes de l’intelligence, écrivez sur la carte de l’esprit humain : à ce pôle, la science ; à cet autre pôle, la poésie.

Il ne fallait pas moins que la révolution intellectuelle qui a réintégré l’imagination dans tous ses droits, pour qu’on pût songer