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L’expérience terminée, nous ne voulûmes pas tuer l’animal qui en avait été le sujet, et en nous éloignant, nous le vîmes regagner son trou, fort désireux, à ce qu’il semblait, de ne pas se trouver une seconde fois sur notre passage.

Je ne me rends pas garant de l’exactitude du récit qu’on vient de lire ; mais, du reste, je ne vois pas ce qu’il y aurait de répugnant pour la raison à admettre que le frêne possède une propriété qu’on est obligé de reconnaître, et avec des circonstances encore plus merveilleuses, dans d’autres plantes du Nouveau-Monde.

Dans presque toutes les parties chaudes de l’Amérique espagnole, on emploie, pour arrêter les effets de la morsure des serpens et pour se préserver de l’atteinte de ces dangereux reptiles, certaines plantes qu’on désigne souvent sous un nom commun, quoiqu’elles appartiennent à des espèces et probablement à des genres différens. On les nomme lianes de guaco (bejucos de guaco), parce que c’est, dit-on, à l’oiseau guaco qu’on doit la découverte de leurs propriétés.

Le guaco est un butor à peu près de la taille du nôtre, mais plus léger de forme et plus brillant de couleur, sa robe étant agréablement nuancée de blanc, de gris cendré et de bleu ardoise. Il a reçu lui-même son nom du cri qu’il jette le soir, lorsque, perché sur la cime d’un arbre mort, il épie au loin les serpens dans la campagne. Un cri semblable a fait donner à un héron crabier, très répandu dans l’ancien continent, le nom de guacco ou sguacco, comme l’écrit Aldrovande.

Les effets du guaco ont été d’abord connus en Europe par la relation des expériences que le célèbre botaniste Mutis fit en 1788, à Mariquita, petite ville de la Nouvelle-Grenade. Ayant moi-même habité cette ville, j’ai eu occasion d’interroger plusieurs des personnes qui avaient été présentes aux premiers essais, et je me suis assuré que le récit inséré par Cavanilles dans les Anales de ciencias naturales ne contenait rien qui ne fût parfaitement conforme à la vérité. Voici en somme ce que j’ai appris sur ce sujet :

Un nègre esclave, nommé Pio, qu’un des principaux habitans de Mariquita, don Jose Armero, avait amené d’une province éloignée, s’était rendu célèbre par la hardiesse avec laquelle il maniait les serpens les plus redoutés. On avait vu ces animaux, devenus