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POÈTES ET PHILOSOPHES FRANÇAIS.

se croiser les bras et de regarder, — avec lui qui, à l’heure la plus ardente de sa jeunesse, peignant la noble élite dont il faisait partie, écrivait : « l’espérance des nouveaux jours est en eux ; ils en sont les apôtres prédestinés, et c’est dans leurs mains qu’est le salut du monde… Ils ont foi à la vérité et à la vertu, ou plutôt par une Providence conservatrice qu’on appelle aussi la force des choses, ces deux images impérissables de la Divinité, sans lesquelles le monde ne saurait aller long-temps, se sont emparées de leurs cœurs pour revivre par eux et pour rajeunir l’humanité. »

Et c’est ici, peut-être, que s’explique un coin de l’énigme que nous nous posions plus haut, au sujet de ces intelligences si supérieures à leur action et à leur œuvre. Quand nous avons dit qu’il y a dans l’atmosphère de cette période du siècle quelque chose qui coupe et atténue des talens, capables en d’autres époques de monter au génie, et quand M. Jouffroy a dit qu’il y a dans l’air qu’on respire quelque chose qui procure aux esprits l’étendue, ce n’est, je le crains, qu’un même fait diversement exprimé ; car cette étendue si précoce, cette intelligence ouverte et traversée, qui se laisse faire et accueille tour à tour ou à la fois toutes choses, est l’inverse de la concentration nécessaire au génie qui, si élargi qu’il soit, tient toujours de l’allure du glaive.

Mais voilà que nous sommes déjà en plein à peindre l’homme, et nous n’avons pas encore donné l’idée de sa philosophie, de son rôle dans la science, de la méthode qu’il y apporte, et des résultats dont il peut l’avoir enrichie. C’est que nous ne toucherons qu’à peine ces endroits réguliers sur lesquels notre incompétence est grande ; d’autres les traiteront ou les ont assez traités. M. Leroux, dans un bien remarquable article, a entamé, avec le philosophe et le psychologiste, une discussion capitale qu’il continuera. M. Jules Le Chevalier a fait également. Et puis, nous l’avouerons, comme science, la philosophie nous affecte de moins en moins ; qu’il nous suffise d’y voir toujours un noble et nécessaire exercice, une gymnastique de la pensée que doit pratiquer pendant un temps toute vigoureuse jeunesse. La philosophie est perpétuellement à recommencer pour chaque génération depuis trois mille ans, et elle est bonne en cela ; c’est une exploration vers