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POÈTES ET PHILOSOPHES FRANÇAIS.

fructueuses. Mais parmi celles qui méritent le plus l’étude et qui appellent long-temps le regard par l’étendue, la sérénité et une sorte de froideur, au premier aspect, immobile, apparaît surtout M. Jouffroy, celui-là même dont nous avons signalé le premier manifeste éloquent. Dans une génération où chacun presque possède à un haut degré la facilité de saisir et de comprendre ce qui s’offre, son caractère distinctif, à lui par-dessus tous, est encore la compréhension, l’intelligence. S’il est exact, comme il le dit quelque part, que l’air que nous respirons sache douer au berceau les esprits distingués de notre siècle, de celle de toutes les qualités qui est la plus difficile et la moins commune, de l’étendue, il faut croire que sur la montagne du Jura où il est né, un air plus vif, un ciel plus vaste et plus clair, ont de bonne heure reculé l’horizon et fait un spectacle spacieux dans son ame comme dans sa prunelle.

L’intelligence à un degré excellent, l’intelligence en ce qu’elle a de large, de profond et de recueilli, de parfaitement net et clarifié, voilà donc l’attribut le plus apparent de M. Jouffroy, et qui se déclare à la première observation, soit qu’on juge le philosophe sur ses pages lentes et pleines, soit qu’on assiste au développement continu et régulier de sa parole. Je comparerais cette intelligence à un miroir presque plan, très légèrement concave, qui a la faculté de s’égaler aux objets devant lesquels il est placé, et même de les dépasser en tous sens, mais sans en fausser les rapports. Ce n’est pas de ces miroirs à facettes qui tournent et brillent volontiers, ne représentant en saillie qu’une étroite portion de l’objet à la fois ; ce n’est pas de ces miroirs ardens, trop concentriques, d’où naît bientôt la flamme. Car il y a aussi des intelligences trop vives, trop impatientes en présence de l’objet. Elles ne se tiennent pas aisément à le réfléchir, elles l’absorbent ou vont au-devant, elles font irruption au travers et y laissent d’éclatans sillons. M. Cousin, quand il n’y prend pas garde, est sujet à cette manière. Chez lui, l’acies, le celeritas ingenii l’emporte ; il pressent, il devine, il recompose. Il y a plus de longanimité dans le seul emploi de l’intelligence ; il ne faut nul ennui des préliminaires et d’un appareil qui, quelquefois aussi, semble bien lent.

À l’égard des objets de l’intelligence, on peut se comporter de deux manières. Tout esprit est plus ou moins armé, en présence