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gique serait digne des grands maîtres, se font remarquer dans tout ce qu’il a écrit. Mais ces beautés disparaissent et se cachent sous mille décombres. Le goût et la patience lui manquaient pour mettre en œuvre les matériaux qu’il avait recueillis. Il traçait son plan, taillait quelques blocs, jetait quelques pierres d’attente, arrondissait une ou deux colonnes, sculptait çà et là quelques chapiteaux, puis il se mettait à bâtir, mêlant la pierre brute à la pierre déjà travaillée, confondant tout, et ne s’embarrassant ni de l’harmonie générale ni de polir son œuvre : l’édifice offrait une certaine grandeur barbare et irrégulière. C’était assez pour lui. Ce monstre architectural, masse cyclopéenne mêlée d’ornemens nés de la civilisation et de blocs immenses, colosse informe, suffisait à son auteur[1].

Tels sont Melmoth et les Femmes. Ce dernier ouvrage, dont la scène est en Irlande, offre, au milieu d’une narration merveilleuse, atroce, extravagante, des traits pathétiques, des passages vrais et puisés dans la nature. Melmoth n’est peut-être pas une œuvre aussi forcenée que certains journalistes l’ont prétendu. Mais ceux qui, effrayés d’une telle conception, n’ont pas reconnu les beautés semées dans ce roman par une imagination féconde, ardente, poétique, sont en vérité fort excusables. Le héros de l’histoire est un second Faust, qui vend son ame à Satan moyennant une prolongation d’existence et toutes les jouissances possibles. L’héroïne est une espèce de déesse, une vierge des mers, qui vit, comme Circé, dans son île magique, épouse la dupe du diable, et meurt dans les cachots de l’inquisition.

Maturin était, dit-on, aussi étrange que ses œuvres. Après la première entrevue, il n’adressait plus la parole à ceux qu’on lui avait présentés ; c’était assez, selon lui, de cette première condescendance, assez flatteuse de la part d’un aussi remarquable génie. Quand l’inspiration le saisissait, il plaçait un pain à cacheter entre ses deux sourcils : et ses domestiques, avertis par ce signe, n’approchaient plus de Maturin[2].

  1. Lewis et Godwin, que l’auteur de ces notices a sacrifiés, l’emportent assurément sur Maturin, dont le charlatanisme funèbre excite souvent le dégoût. C’est Maturin qui a représenté deux amans mourant de faim et s’entre-dévorant dans un cachot, mauvaise caricature de l’Ugolin de Dante.
  2. On ferait un volume des singularités de Maturin. Beau danseur et romancier funèbre ; écrivant à traits de plume ses imaginations extraordinaires ; mourant de faim et fréquentant les bals ; homme du monde et homme de coulisses ; fat, fier, amoureux du quadrille, de la table de jeu et de la pêche : nous l’avons rencontré en octobre sur les bords d’un lac, armé d’une ligne immense, vêtu comme un beau danseur de Londres ou de Dublin, en escarpins et en bas de soie à jour.