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LITTÉRATURE ANGLAISE.

négligea même de placer ses acteurs dans ces attitudes mélodramatiques, admirées des lectrices. Ses romans furent privés de clairs de lune, d’évanouissemens subits, de tendres exclamations sur le chant du rossignol, la chute des feuilles, le son lointain des harpes, et les beautés du paysage. L’homme, tel qu’elle le voit et le peint, n’est pas un enfant romanesque et sentimental, mais un être noble et qu’elle a traité en conséquence. Persuadée de cette dignité humaine, elle ne place jamais ses héros dans des situations forcées. Sa couleur est modeste, simple ; rarement ce sont les violentes passions, qu’elle reproduit. Elle vise peu à l’effet ; elle veut être utile.

« Les œuvres de miss Edgeworth[1], dit Gifford, loin d’encourager le vice, même sous la forme la plus agréable et la plus élégante, contiennent quelques-unes des plus fortes leçons de morale qui se trouvent chez aucun écrivain. Nous apprenons d’elle, non par des maximes générales et des exemples extraordinaires, mais par la réalité même et l’aveu des acteurs, de quelle manière nous devons nous conduire dans les circonstances difficiles, quand la tentation vient nous assaillir. Elle s’occupe toujours à présenter des situations possibles, ingénieuses, non inventées, mais judicieusement choisies ; et, parmi les diverses routes qui se présentent à nos yeux, elle nous montre celle qui nous conduit au bonheur par la vertu. Je ne sais si l’on peut citer une seule qualité que miss Edgeworth n’ait encouragée et placée sous son point de vue le plus noble. Elle aime surtout à nous offrir les résultats et la récompense de la bonté, de la persévérance, de l’activité, du dévouement, de l’indépendance de l’ame. »

Peut-être eussions-nous préféré que miss Edgeworth mêlât à ses excellens ouvrages un peu plus de la verve ardente, capricieuse, passionnée, qui caractérise le paysan d’Irlande. Nous la trouvons quelquefois trop sage, trop didactique. Elle oublie que le joug de la raison ne peut pas nous dominer toujours, que le plaisir a ses droits, que cette source de folie mêlée à notre nature a besoin de s’épancher de temps à autre. Elle se tient fort assidûment à côté de ses héros ; Mentor inexorable de ces Télémaque nouveaux, ne leur permettant pas une espiéglerie,

  1. M. Allan Cunningham, qui n’a pas beaucoup ménagé Gifford dans le commencement de cet essai, le cite maintenant comme autorité, et lui rend la justice qui, selon nous, est due à ce rude, mais excellent critique. L’édition des Œuvres de Ben-Johnson, par Gifford, est un modèle dans son genre. Les notes de cet ouvrage sont peut-être le plus précieux et le plus fidèle commentaire, non seulement du langage et de la littérature, mais des mœurs et de l’histoire anglaises au xvie siècle.