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comme les Brownies laborieuses[1] de nos traditions, la ménagère d’Écosse avait une tâche pénible à remplir, et travaillait comme une esclave ; aucune des ressources des grandes villes n’était à sa portée. Le voyageur qui, dans sa tournée en Écosse, s’arrêtait à la porte d’une chaumière et y recevait l’hospitalité, en savait plus long à ce sujet que Mme Hamilton elle-même. La femme de Glenmore saluait l’étranger, sortait, recueillait l’orge sur les épis, l’apportait chez elle, le vannait, le moulait elle-même, le pétrissait, le plaçait dans le four, et le servait avec de l’eau-de-vie[2]. Pourquoi donc accuser d’indolence ces pauvres femmes, toujours occupées de travaux que dans d’autres pays l’homme exécute ou fait exécuter par des machines ? Aujourd’hui la condition des femmes écossaises commence à changer ; et comme elles ont plus de loisir, leurs délicatesses de femmes de ménage, leurs raffinemens domestiques, commencent à devenir aussi recherchés, aussi sévères que Mme Hamilton a pu le désirer.


— L’élégance, la grace pathétique, le style doux et agréable de Henry Mackenzie, ont assuré sa réputation. Il sait jeter dans ses nouvelles une précision, une clarté, une naïveté charmante. Personne, plus que lui, n’a le sentiment du beau et du joli. Économisant ses ressources avec adresse, ne prodiguant et ne hasardant jamais rien, il ressemble à ces hommes habiles et sages qui tirent d’une fortune modique le meilleur parti possible, et à ces bouquetières dont le talent consiste à disposer, de manière à les faire valoir, les fleurs qu’elles exposent en vente.

Quelques-unes des narrations les plus touchantes que la littérature anglaise ait produites sont sorties de la plume de Mackenzie. Louise Venoni, histoire simple, triste, éloquente, est un de ces récits qu’il suffit d’avoir lus une fois pour ne les oublier jamais. Son Homme sensible appartient aux deux écoles de Sterne et de Werther. Moins désordonné que le Voyage sentimental, moins frénétique que le héros de Goethe, le héros de Mackenzie n’ose pas exprimer l’ardente passion qu’il nourrit, et meurt victime de sa délicatesse et de son silence. La scène qui se passe dans la maison des fous est admirable. Il y a trop de douleurs accumulées dans Julia de Roubigné. Cette manière d’atteindre le pathétique, en ne se faisant faute d’aucune calamité, est trop facile ; l’ouvrage est moins une création intellectuelle qu’une douloureuse confession.

Le talent que Mackenzie avait déployé dans ses contes et ses romans de peu d’étendue, l’a quitté quand il a voulu écrire un roman en trois volumes,

  1. Esprit follet qui se charge des soins du ménage.
  2. Whiskey, eau-de-vie de grain.