Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/483

Cette page a été validée par deux contributeurs.
479
REVUE. — CHRONIQUE.

Le rédacteur d’un journal ministériel a essuyé une disgrace un peu fâcheuse. Voulant s’avancer dans les bonnes graces de son beau-père, honnête médecin d’une petite ville de Picardie, il avait sollicité la croix pour ce digne homme, et à son insu. C’était une surprise qu’il voulait lui ménager pour le jour de sa fête, et en effet ce jour-là, le docteur trouva un brevet, un ruban rouge et une croix sous sa serviette. La joie fut grande au logis du médecin, homme rangé, contribuable exact, électeur ponctuel, qui avait l’espoir de devenir prochainement maire de la ville ou du moins conseiller municipal. Cette croix, survenue si à propos, ne pouvait qu’ajouter à ses espérances. Les félicitations durèrent tout le soir, et l’on se coucha gaiement, en se livrant à des songes dorés. Tout à coup, au milieu d’un rêve, où il se sentait doucement ravi aux cieux, sur une écharpe municipale, le docteur fut réveillé par un horrible vacarme, par un de ces charivaris qui signalent, dans une cité paisible, la présence de M. Thiers ou de M. Viennet. Son nom, joyeusement salué, ne lui permit pas de douter qu’il ne fût l’objet de cette fête qui se prolongea jusqu’au soleil, recommença le lendemain, le surlendemain encore, et le priva de sommeil pendant plusieurs jours. Quel supplice et quel affront pour un homme honoré, modeste et tranquille !

Cependant le gendre du docteur dormait à Paris fort tranquillement, lorsqu’il reçut une lettre de son beau-père. Il s’attendait, comme de raison, à de vifs remercîmens du nouveau chevalier de la Légion-d’Honneur ; mais il n’y trouva que ces mots : « Je vous défends de me revoir, et je vous déshérite. » — On ne sait si le ministre consentira à reprendre sa croix.


— Le célèbre voyageur Douville, dont on n’avait pas de nouvelles depuis plusieurs mois, et sur le compte duquel on commençait à entretenir de graves inquiétudes, vient de rassurer le monde savant sur sa personne par une lettre écrite de Bahia et adressée à l’Institut. Peu satisfait des observations recueillies sur les Indiens du Brésil par ses devanciers, cet intrépide explorateur s’apprêtait à recommencer leur ouvrage, en entreprenant un voyage chez les Botocudos, d’après la méthode qui lui est propre et dont il est l’inventeur, c’est-à-dire à la tête d’une armée avec armes et bagages. Malgré son court séjour dans les environs de Bahia, ce savant botaniste avait déjà fait deux découvertes importantes : l’une que le fruit du rocouyer, dont il envoie un échantillon à l’Institut, fournit une teinture rouge qui pourrait être employée avantageusement dans les arts ; l’autre, que deux palmiers, communs dans le pays, ont échappé aux recherches de ses prédécesseurs et sont nouveaux. Il en a jugé ainsi, avec ce coup d’œil perçant qui le caractérise, à la seule inspection de la hauteur de ces arbres, dont l’un a quarante, et l’autre douze pieds d’élévation. Au retour de son invasion chez les Botocudos qu’il ne fait que pour se mettre en haleine, M. Douville annonce qu’il s’embarquera pour Mozambique, d’où il traversera l’Afrique, soit directement à l’ouest, soit en se dirigeant au nord-ouest. Une pareille entreprise nous ferait frémir pour tout autre voyageur, mais rien n’est impossible à l’illustre auteur