Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/467

Cette page a été validée par deux contributeurs.
463
MARIE TUDOR.

tire on ne sait où, pour venir dix minutes plus tard aider son rival à transporter un cadavre, recevoir une bourse de sa main ! dans quel monde, dans quelle planète lointaine, ces choses se passent-elles ?

Une reine qui écoute, sans frémir de colère, les protestations mensongères d’un favori qu’elle méprise ; qui l’accuse de régicide contre toute vraisemblance, quand un mot de sa bouche le condamnerait sans retour ; qui reçoit le bourreau dans la salle du trône ; qui mande le chancelier et toute la cour pour publier une mésaventure d’alcôve, qui prend toute l’Angleterre à témoin de ses déportemens ! dans quel pays vivent les reines de cette trempe ?

Le dénouement, taillé sur le même patron que celui de Lucrèce Borgia, inventé pareillement avec du drap noir et des cierges, aurait au moins une valeur fantasmagorique, si les lenteurs interminables qui le préparent n’en paralysaient l’effet en partie, et si le décorateur, par une singulière ignorance de la perspective, n’avait fait, de l’illumination de la ville de Londres, quelque chose de mesquin et d’inintelligible. Les angoisses des deux femmes seraient facilement acceptées dans un roman ; mais au théâtre, le spectateur ne se prête pas si volontiers à l’illusion. Il voit trop vite les moyens d’éclaircissement ; il se rit des doutes si faciles à résoudre.

Avec un drame ainsi fait, la tâche des acteurs était difficile, j’en conviens. Comme ils n’ont à leur disposition que des moyens humains, comme ils ne peuvent puiser l’expression du visage, le geste, l’attitude, que dans le souvenir de leur vie personnelle, ou dans le spectacle de la vie sociale qu’ils ont sous les yeux, ils ont dû se trouver dans un grand embarras, quand il s’est agi de rendre sur la scène des caractères et des actions qui n’ont de modèle nulle part.

Pourtant, j’ose croire que Mlle Georges et Lockroy qui, plusieurs fois, ont donné des preuves éclatantes de leur talent, pouvaient mieux faire, même dans les rôles ingrats qu’ils ont acceptés. La situation de Marie était à peu près la même que dans la Christine de M. Dumas ; et sans vouloir contester la réelle supériorité de la reine suédoise sur la reine anglaise, au moins y avait-il dans le souvenir du premier rôle de quoi corriger le second. On ne peut