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MARIE TUDOR.

donc être de punir la maîtresse de Fabiano. Quand le favori tremblant refuse d’avouer sa liaison avec Jeanne, Marie devrait céder aux folles crédulités de la passion qui l’entraîne ; elle devrait douter encore de son malheur, insulter sa rivale, l’envoyer en prison ou à l’échafaud, et attendre, pour punir Fabiano, qu’il avoue son amour pour Jeanne, qu’il ait donné à sa première maîtresse une preuve publique de son dédain et de son abandon.

La jalousie, dans ses emportemens les plus insensés, a pourtant sa logique. Comme elle naît d’un égoïsme blessé, elle ne peut pas souhaiter d’emblée la perte de la personne aimée ; elle doit naturellement s’adresser à l’obstacle, c’est-à-dire à l’objet d’une affection rivale.

Si la reine veut frapper Fabiano, elle ne doit s’en remettre qu’à elle-même du soin de sa vengeance ; au lieu d’aller chercher dans la foule un bras obscur, et qui peut manquer d’adresse ou de force, elle n’a qu’à choisir parmi les seigneurs de sa cour un accusateur dévoué. Puisque le favori porte la haine des courtisans, c’est à cette haine qu’il faut s’adresser comme au vengeur le plus sûr. La trahison des secrets d’état, la dilapidation du trésor, la vénalité de la justice, la corruption des conseillers de la couronne, il y a là vingt occasions de demander et d’obtenir la tête d’un homme. Une femme du bon sens le plus ordinaire apercevrait du premier coup toutes les ressources d’une pareille position, et n’irait pas compromettre sa vengeance dans une aventure incertaine.

Enfin, quand elle a résolu la mort du favori, doit-elle souffrir qu’on escamote sa victime ? Ne devrait-elle pas, dans un mouvement de curiosité cruelle, soulever le voile du condamné, l’accabler de son mépris, puis le pleurer avant que la hache ne tombe, ou le sauver à l’heure suprême, lui pardonner, lui demander grace pour sa colère ? Mais il faut qu’elle soit sûre de la tête qui tombe, ou de la tête qu’elle sauve.

Fabiano n’est qu’un lâche vulgaire. Je comprends difficilement comment il a pu séduire Jeanne Talbot. Libertin, joueur, effronté, ce n’est qu’une peccadille : où est la jeune fille qui n’a pas assez d’orgueil pour se vanter de corriger son amant ? Mais au moins je lui voudrais de l’élégance et de la bravoure ; passe encore pour