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Shelley. — Ce poète, l’un des plus remarquables et des plus malheureux des hommes de talent contemporains, appartenait à une ancienne famille d’Angleterre. Né en 1792, il fit de rapides progrès dans ses études, qu’il aurait terminées à Oxford, si la liberté de ses opinions religieuses n’eût mécontenté les chefs de l’université, qui prononcèrent son expulsion. Avant de quitter le collège, il avait déjà donné preuve de talent poétique. L’enthousiasme de sa poésie, autant que le mysticisme étrange de sa pensée, l’avait fait remarquer. Il épousa une jeune personne[1] qui lui avait inspiré la passion la plus vive, et qui mourut jeune, victime, prétendirent les bruits de salons, de chagrins domestiques très vifs, et d’un amour contrarié. Déjà frappé de cette perte douloureuse, Shelley fut en butte à la rigueur de la loi anglaise qui le força de renoncer à la société de ses enfans et au bonheur de les élever lui-même, parce que tous les articles de foi de l’église anglicane n’étaient pas des articles de foi pour lui. L’indignation, le ressentiment, la tristesse, remplirent l’ame de Shelley ; ce cœur blessé se soulagea en demandant à la Muse des chants de colère et de douleur. La Révolte d’Islam et Prométhée déchaîné, créations symboliques dont quelques personnes s’obstinèrent à ne pas comprendre le sens, attaquèrent toutes les institutions nationales, la foi reli-

    un peu vague et même incomplète, dans sa sévérité comme dans son panégyrique. Byron comprenait assurément la nature ; il s’associait à elle avec intimité. Frappé du mélange de bien et de mal qui la domine, et voyant deux principes en lutte, il n’a pu arracher sa poésie aux étreintes d’un manichéisme douloureux. Burns, admirable peintre, ne s’est jamais élevé jusqu’à la métaphysique. Il a senti la nature, et l’a reproduite. Byron, sans religion, a demandé compte à l’univers de ses contradictions apparentes. La lutte des deux principes, la douleur, le désespoir de ne pouvoir trouver, sans Dieu, la solution de l’énigme du monde, ont tourmenté Byron jusqu’à la fin de sa vie. En lui se résument le Scepticisme dans sa plus ardente amertume, le doute se dévorant lui-même ; son éducation, ses opinions, son exil, les injustices qu’il avait subies, tout le préparait à cette mission poétique. Pour la concentration, la compression, la force de l’expression poétique, il a peu de rivaux. Comme peintre de caractère, il est inférieur, et reproduit sans cesse des modèles faux de férocité et de misanthropie imaginaires. L’observation impartiale et l’étendue philosophique des vues étaient les qualités qui lui manquaient. D’ailleurs le génie et le caractère de Byron n’auront leur complète appréciation que dans l’avenir.

  1. La nièce du célèbre Godwin, mistriss Shelley, est auteur de cet étrange roman de Frankestein, dont l’idée est grande et originale, tout affreuse qu’elle soit.