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LITTÉRATURE ANGLAISE.


représentée ; une espèce de personnage surnaturel, que rien n’étonne, que rien ne fait trembler, qui marche au milieu du sang, se rit de l’assassinat, et ne demande pas même à son héros un amour tendre et fidèle. C’était mal connaître le cœur des femmes et en offenser la pureté. Le charme qu’il prête à ses héroïnes, et la grandeur d’ame qu’il leur attribue, compensent à peine un si grave défaut. Ses acteurs sont répulsifs, ses actrices mélodramatiques ; et cependant il leur donne une vie si forte, il analyse leurs sentimens et leurs pensées avec tant de vérité ; il fait ressortir leurs actions sous le jeu varié de la lumière et de l’ombre avec une habileté si extraordinaire, que nous leur pardonnons aisément toutes leurs fautes contre les convenances et la vertu.

Anatomiste cruel et calme du cœur humain, c’est dans cette dissection qu’il excelle. Il exerce une fascination, non d’amour, mais de crainte. Nous le suivons malgré nous, charmés et effrayés à la fois, et sans pouvoir trouver dans notre propre cœur l’écho de toutes les idées lugubres et funestes qu’il exprime.

Son défaut radical est de manquer de sympathie avec la nature. Burns le paysan la comprenait bien mieux que l’héritier des vieux barons normands. L’humble métayer, avec ses sept livres sterling de patrimoine, avait un sentiment plus vif et plus vrai de la nature animée et inanimée, que le noble suzerain de Newstead avec ses souvenirs héroïques et ses tourelles féodales. L’harmonie universelle, qui restait voilée pour ce noble poète, se faisait comprendre du pauvre laboureur. Byron avait pour muse le dédain ; il ne voyait de certitude que dans l’erreur, et dans la vertu qu’un accident. Sa gloire paiera le prix de sa présomption et de son orgueil. Le front se ride, le cœur se resserre quand vous parcourez ses plus beaux passages. Sa poésie, tout inspirée qu’elle soit, ne console personne ; il lui manque l’ambroisie céleste que les ames tendres demandent à la Muse[1].

    Vous n’auriez pas la plus légère vocation poétique, que vous seriez de fort mauvaise humeur, si, comme lord Byron, après avoir jeuné quarante-huit heures consécutives, vous vous faisiez apporter trois homards pour votre souper ; si, du matin au soir, les huissiers et les créanciers assiégeaient votre porte ; si, après la saisie de vos biens, vous étiez forcé de vous cacher ; si tous les journaux retentissaient de votre nom calomnié, raillé, noirci ; si le peu de temps que vous laisseraient une santé détruite et des affaires délabrées, vous le consacriez à l’agréable occupation de vous quereller avec votre femme. Telle fut long-temps la vie intérieure et réelle de Byron.

  1. On pourrait, en rapportant Byron à son époque, trouver cette appréciation