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dues dans ses œuvres avec une prodigalité qui dépasse quelquefois toutes les bornes de la convenance, sont de nature à étonner l’imagination la plus philosophique. Ses héros-bandits n’ont aucune prétention à la vertu, à la moralité, à la pureté. Couverts de vices, noirs de crimes, ils ne se rattachent à l’humanité que par de faibles liens, par une ou deux bonnes qualités éparses dans leurs ames corrompues ; espèces de points lumineux qui font ressortir l’horreur de leur caractère, rayons de soleil qui pénètrent dans les tombeaux pour en éclairer l’horreur sépulcrale. Ses héroïnes, qui n’ont rien de vrai, sont modelées sur le type de la jeune fille aux cheveux châtains[1], telle que Prior nous l’a si ridiculement

  1. Nut-Brown maid. Cette héroïne d’une vieille ballade anglaise, que Prior a refondue et rajeunie, a servi de type à la Médora et au Kaled de lord Byron. C’est une jeune fille amoureuse, aux yeux de laquelle son fiancé se présente sous les traits d’un bandit, d’un misérable et d’un homme couvert de vices, La jeune fille s’abandonne à lui, sans que ces étranges aveux l’étonnent et la fassent reculer. Quiconque a étudié le caractère humain, quiconque a jamais apprécié l’influence exercée par l’énergie du caractère sur le cœur des femmes, ne pensera pas que l’héroïne de la vieille ballade, rajeunie par Prior, et idéalisée par Byron, soit aussi contraire à la vérité, aussi éloignée de la nature que M. Allan Cunningham l’affirme. La femme du bandit italien, l’amante du guerillero espagnol, la mère et la fille de l’ancien outlaw anglais et écossais, celles du pirate grec de ces derniers temps se rapprochent singulièrement de ce modèle. Le tort de Byron est seulement d’avoir gâté, par un mélange de métaphysique et de mélancolie affectée, ce caractère qui ne peut avoir de réalité que dans l’état sauvage. L’ouvrage de Moore offre une explication bien insuffisante, quelquefois absurde de son caractère. Le biographe semble penser que lord Byron n’a été grand poète que parce qu’il était insociable. Jeté dans le monde par une destinée mauvaise, irrité par mille contrariétés indépendantes de sa conduite, et par celles mêmes qu’il provoquait, Byron devint de bonne heure morose, quinteux, bizarre, plein de manies étranges et de caprices fantasques. Sa femme, exacte et sévère, « dont la vertu (dit quelque part son mari) marchait régulière comme une horloge, » ne put se plier à tant de singularités, et les punit cruellement par un abandon qui humilia le jeune homme. Amertume, violence, dépit, bouillonnèrent dans son ame et se transformèrent bientôt en raillerie et en dédain. Soutenir, comme l’a fait Moore, que le talent de lord Byron émanait essentiellement de son caractère ; qu’il eût fait bon ménage, s’il n’eût pas été un grand homme ; que l’on n’est poète qu’à condition de rendre misérables tous ceux qui nous approchent, c’est soutenir une triste thèse et favoriser ces ridicules copistes de lord Byron qui boivent dans un crâne, et froncent le sourcil pour se donner du génie.