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respecté, aussi sévère, aussi savant que lui, et qui donne son opinion sur le poème sans épargner jamais l’auteur ni l’ouvrage. Il se moque impitoyablement de cette prodigalité de fleurs odorantes, de parfums délicieux, de rubis étincelans, de diamans chatoyans, d’étoiles rayonnantes, de velours et de perles dont l’ouvrage est semé. Il faut avouer que le Sosie de Jeffrey rencontre de temps à autre des phrases très heureuses, des observations tout aussi justes que celles de son prototype. Rien de plus plaisant que la contrition et les douleurs du juge quand il découvre, à sa grande mortification, que ce paysan qu’il a soumis à sa férule, cet obscur poète, si mal traité par lui, est le fils d’un prince et l’héritier d’un trône. On dit que cette idée comique a été suggérée à Moore par le changement qui s’opéra tout à coup dans la critique de l’Edinburgh Review. Elle avait dénigré lord Byron tant qu’elle avait vu en lui le grand seigneur ; elle devint subitement bienveillante pour lord Byron whig et philosophe.

Le poème de Thomas Moore a pénétré jusqu’aux extrémités du monde, et son nom est populaire dans tous les pays civilisés. Ses œuvres satiriques sont une espèce d’acide nitrique dont l’effet est cruel pour la victime que le poète a choisie. Le prince de Galles, lorsqu’il devint régent d’Angleterre, fit de grands changemens dans sa maison, traita froidement plusieurs de ses amis, et entre autres Thomas Moore, qui se vengea en poète offensé. ; il publia quelques redoutables poèmes, épines aiguës qui restèrent long-temps enfoncées dans le flanc du monarque[1].

    coup d’inimitiés. Quelques clameurs qu’aient dû soulever Jeffrey, Gifford, Hazlitt et plusieurs autres qui se sont contentés de soumettre à leur observation le déploiement des forces contemporaines, leur influence a été aussi puissante que profonde et utile, comme nous l’avons dit plus haut. Ce qui est étrange, c’est que l’on pourrait reprocher plutôt à la Revue d’Édimbourg et au Quarterly l’indulgence de quelques appréciations que la cruauté de leurs critiques. Assurément, la misanthropie affectée de lord Byron, modèle d’une école ridicule ; la prétention de Moore ; le rhythme facile, brisé, vagabond, de Southey, dont les vers ne sont guère que de la prose déguisée et enivrée, méritaient quelques observations ; l’avenir, tout en rendant hommage à ces hommes supérieurs, sera bien plus sévère envers eux.

  1. Les Lettres interceptées (Two-Penny Post-bag), recueil d’épîtres en vers, que Thomas Moore attribuait aux principaux personnages de la cour et au prince régent lui-même, eurent un énorme succès. Ce sont de très bonnes et très caustiques plaisanteries légères, vives, pleines de gaieté, de saillies, de caricatures heureuses, de parodies fines ou grotesques. Moore excelle dans ce genre. Il a écrit plusieurs ouvrages en prose ; on l’accuse, avec assez de raison, de manquer de simplicité. Dans Lalla