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rieure à la morale antique et plus encore à la morale chrétienne. Elle commande sèchement les devoirs de la famille et de la cité, comme s’il s’agissait d’agencer des pierres et non d’harmoniser des hommes. Elle subordonne le jeune au vieux, le fils au père, le frère cadet au frère aîné, le sujet au magistrat, le magistrat au prince ; et quand elle a bien assis la base de sa pyramide sociale, qu’elle en a bien mesuré les pans et les angles, elle est satisfaite et ne s’inquiète pas si cette pyramide est composée d’êtres vivans, ou bâtie d’ossemens arides ; si au centre est un temple, ou, comme dans les pyramides d’Égypte, un sépulcre et une momie. En tête de toutes les vertus, elle place la justice et l’humanité ; mais cette justice est toute négative, et cette humanité n’a pas d’entrailles. Le nom de celle-ci est admirable, on l’écrit en unissant au signe qui veut dire homme, le signe qui veut dire deux ; c’est le lien de l’homme avec l’homme, la charité ; et on trouve dans la morale chinoise ce divin précepte : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qui te soit fait. » Mais voyez ici combien la lettre est stérile, quand l’esprit défaut. L’idée de la charité est un accident dans le système, et ne s’y fait sentir que çà et là, comme par hasard. Dans le christianisme au contraire, la charité n’est pas une idée morte énoncée en passant, un devoir froidement prescrit par le législateur, comme une convenance sociale que l’étiquette impose, comme un régime bon à suivre, qu’un médecin recommande négligemment. Dans le christianisme, la charité est l’ame et la vie ; c’est un sentiment immense et pénétrant, qui remplit tout le cœur de l’homme et contient toute la loi de Dieu.

La sécheresse de la morale de Confucius, l’absence de toute vitalité dans le sein de cette doctrine, ont porté leurs fruits. Certes, on ne peut nier qu’elle n’offre un appareil très imposant d’excellens préceptes, liés entre eux par un enchaînement dont la rigueur n’a jamais été surpassée, et disposés suivant les règles de la plus parfaite symétrie. Depuis bien des siècles, la principale étude des lettrés a été de les approfondir et de les retourner en tous sens. Chacun d’eux doit en être imbu dès l’enfance, et il n’y a peut-être pas un autre exemple d’une morale qui soit à la fois l’objet constant de la science et la base officielle de la politique. Avec tout cela, nous ne voyons pas qu’un grand perfectionnement en soit résulté pour la