Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/359

Cette page a été validée par deux contributeurs.
355
REVUE. — CHRONIQUE.

senti à la cour de France, et d’offrir à la régente, de la part de son bon voisin le roi Louis-Philippe, des soldats, un gendre en expectative, et, ce qui est bien plus fort, de l’argent.

Cependant, M. Mignet était à peine parti, que les ambassadeurs qu’on avait eu le temps d’amuser, en gardant secrète jusqu’au 4 la dépêche télégraphique de la mort de Ferdinand, reçue le 2, s’assemblèrent et vinrent troubler par quelques paroles d’aigreur les innocentes joies du château. M. Pozzo donna à lui seul plus d’inquiétudes que tous les autres. Il ne se plaignit pas, il n’accourut pas avec des remontrances, il ne fit pas le moindre bruit de ses courriers et des dépêches qu’il adressait à sa cour ; au contraire, il se tint coi, et ne parut, pendant deux grands jours, ni chez M. de Broglie, ni chez le président réel, ni chez le président postiche du conseil. Le troisième jour au matin, l’anxiété de nos ministres était déjà si grande qu’ils eussent volontiers rappelé M. Mignet, s’il eût été possible, et que M. Thiers, le promoteur de cette mission, eut à essuyer quelques reproches fort amers pour un homme qui se prépare à franchir le seuil de la lune de miel. Il faut tout dire, M. Pozzo ne boudait pas seul. Le représentant d’une puissance bien autrement redoutable s’était retiré sous sa tente. M. Rothschild avait déclaré que, si on intervenait en Espagne, la rente éprouverait une forte baisse. Tout fut dit alors. On était bien préparé à résister quelques jours à l’empereur Nicolas, mais on ne tint pas une minute contre M. Rothschild.

Une lettre de M. Thiers, on dit même une lettre du roi, fut adressée en toute hâte à M. Mignet. On lui écrivait d’engager M. de Rayneval à ne pas suivre trop littéralement les instructions de M. de Broglie, honnête homme, savant homme, mais non pas toujours habile homme, qui se cantonne trop rigoureusement dans ses principes, dans les intérêts du pays, et dont l’inflexibilité et la droiture embarrassent souvent nos grands hommes d’affaires. M. Mignet fut donc prié de se modérer, de n’annoncer qu’une intervention pacifique, et de ne promettre ni soldats, ni surtout un écu. On lui recommandait, comme aux fils de famille, de ne pas se montrer crâne et tapageur, et surtout d’être économe.

Le courrier qui porta cette dépêche à Madrid trouva M. Mignet entouré par quelques femmes d’esprit qu’on avait jugées propres à deviner la mission du jeune diplomate. Mme de Santa-Cruz, dont nous avons parlé, confidente et amie de la régente, fêtait surtout M. Mignet. Toute cette jeune cour féminine, déconcertée par le visage vraiment diplomatique du profond et sérieux M. de Rayneval, semblait heureuse de trouver à qui parler.