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LITTÉRATURE ANGLAISE.

en Amérique, et que sa postérité s’est maintenue jusqu’à ce jour sur les bords méridionaux du Missouri. » Si depuis, cette terre a été parcourue, et si l’on n’y a point trouvé d’Indiens gallois, peu importe à la beauté du poème. L’ouvrage est écrit en vers blancs : « c’est, à mon avis, dit Southey, le plus noble rhythme qui existe dans notre admirable langue. » Et il est vrai qu’il manie ce rhythme comme un maître.

À Madoc succéda le farouche Kehama. C’est un conte où se trouvent décrits les sentimens, les mœurs, le caractère et les superstitions des Hindous. Il fut imprimé, je crois, en 1809. Le sujet de ce conte est le triomphe de la puissance et du vice sur un être pur et vertueux, triomphe assuré par une prière et une malédiction. Cependant la pénitence et la prière détruisent le charme, et l’innocence est couronnée. Les vers sont d’une mesure irrégulière, tantôt rimés, tantôt sans rimes, nais toujours harmonieux. Il y a dans cet ouvrage beaucoup de sensibilité et d’imagination. Le caractère de la jeune Neallinay, la peinture de ses souffrances, sont pathétiques, et retracés avec beaucoup de grâce et de simplicité. Kehama, tableau magnifique et bizarre, obtint un grand succès, et l’on en fit en peu de temps plusieurs éditions.

En publiant Roderik le dernier des Goths, Southey résolut, à ce qu’il paraît, de dire adieu à l’épopée historique. Il n’y a pas dans cet ouvrage autant d’imagination que dans ceux dont nous venons de parler, mais c’est le plus touchant de tous les poèmes de Southey, et peut-être des temps modernes. Là se trouve le pathétique de sentiment et de situation, et le style est d’une fermeté, d’une vigueur dont peu d’hommes de nos jours approcheront. D’après le récit du poète, Roderik s’échappe de la bataille fatale qu’il a perdue contre les Maures. Il cherche, par une vie de mortifications et de prières, à apaiser le ciel ; puis un jour il reparaît comme soldat étranger au milieu de ses troupes, gagne la bataille, et l’injure de son pays étant ainsi vengée il part, et on ne le revoit plus.

Les poésies diverses de Southey ont aussi un grand mérite. Les unes sont d’une nature gaie et renferment des passages pleins de douceur ; les autres sont ironiques. Le poète, avec un air de bonne foi et de simplicité, soumet les objets de sa colère à un sarcasme poignant.

Southey a le don précieux d’être original dans ses conceptions, dans le choix de ses sujets, dans la structure de ses vers. Il écrit d’une manière égale, claire et facile ; il est riche en matériaux, fécond en images, et possède tellement son sujet qu’il ne cesse pas de nous intéresser. Ses idées sont nobles, justes, et révèlent un cœur généreux, et un admirateur des choses grandes et héroïques. Ses poèmes ont survécu aux plus amères,