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penchant à l’ironie dure et au cynisme ; nous ne retrouverons pas ce défaut dans celles de Samuel Rogers[1]. Comme Crabbe, pourtant, ce poète se distingue par un choix habile d’expressions, par sa grande lucidité de pensées et de style, par son goût pour les scènes de la vie privée et les tableaux dans le genre de Gainsborough[2]. Mais la ressemblance à établir entre ces deux poètes ne s’étend pas plus loin ; la muse délicate de Rogers choisit des sujets rians et poétiques ; il ne va point ouvrir la porte des lazarets où la peste règne ; il aime à contempler ce qui est beau et gracieux, et ne veut pas décrire Éden pour l’unique satisfaction de nous montrer l’esprit du mal se traînant entre les arbres, rampant sur la terre au milieu d’une bave sanglante, et arrivant auprès de la femme belle et innocente, pour lui murmurer à l’oreille de fatales paroles.

Il existe trois poèmes dont les titres sont analogues et le mérite tout-à-fait

    gleterre depuis cinquante ans, peut-être aurait-il dû tracer ici (mais sans doute il le fera dans la suite de son travail) une ligne de démarcation bien sentie entre Crabbe, Cowper, Burns, prédécesseurs de Byron et de Scott, et la nouvelle génération d’hommes de génie ou de talent que la littérature britannique a vus éclore depuis 1800. L’impulsion donnée par la révolution française et par les immenses efforts de la Grande-Bretagne contre Bonaparte et la France fit naître à la fois et comme par miracle cette moisson brillante, Scott, Byron, Wordsworth, Southey, Coleridge. Leurs inspirations sont diverses ; mais il y a de l’analogie dans leurs sentimens poétiques : tous audacieux, pleins d’originalité, neufs dans leur manière, énergiques dans l’expression, ils annoncent dignement l’ère de grandeur et de triomphe à laquelle ils appartiennent, et à laquelle se rattachent Rogers, Campbell, Hogg, et quelques autres.

  1. Si, en plaçant Rogers auprès de Crabbe, l’auteur de ces esquisses ingénieuses a voulu les faire ressortir par le contraste, il ne pouvait mieux choisir. Crabbe n’a jamais vu que le côté triste et douloureux de la nature humaine. C’était un pauvre ministre de village qui vivait dans la solitude et faisait de bonnes œuvres, tout en composant des vers imprégnés d’amertume. Rogers, banquier, riche, homme du monde, n’a considéré la vie que sous un aspect riant et gracieux ; l’originalité lui manque, et quelquefois la force. Souvent le mauvais goût dépare les œuvres de Crabbe. Rogers est un poète tout virgilien que la gloire de Walter Scott et de Byron a rejeté dans l’ombre ; mais une simplicité gracieuse, une douceur d’ame remarquable, recommanderont ses poèmes didactiques à l’estime, si ce n’est à l’enthousiasme de la postérité.
  2. Gainsborough peintre du xviiie siècle, ami de Burke et de Sheridan, a traité des sujets rustiques avec assez de succès. Sa manière est un peu lâche, et sa couleur souvent forcée. Il a, dès l’année 1779, fondé à Londres une espèce de