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victime de sa douleur long-temps comprimée plutôt que d’un mal physique.

Burns était d’une taille droite, élevée, et d’une constitution si forte, que peu d’hommes pouvaient l’égaler dans les travaux les plus rudes. Il avait le front large, les cheveux bouclés naturellement, le visage basané, les yeux grands et noirs, la voix pleine et sonore. Comme poète, il mérite d’être placé au premier rang. Ses idées sont neuves, puissantes ; son style original. Il ne doit rien de son succès aux sujets qu’il choisit, car ces sujets sont tout-à-fait vulgaires, et tels que peut-être pas un autre que lui n’eût osé les traiter. Tout ce qu’il a écrit se distingue par une douce nonchalance, par un choix heureux d’expressions, par une grande souplesse de pensée, par l’élan d’une ame passionnée, et la vigueur d’une intelligence mâle. Sa poésie est familière et noble, facile et concise ; un vif sentiment de la beauté règne dans ses œuvres ; il éclaire, échauffe, embellit, anime tout ce qu’il touche.

Il a chanté les femmes avec enthousiasme, jamais peut-être aucun poète moderne n’a parlé de la beauté avec plus de ferveur et de passion, et les vers qu’il lui adresse doivent vivre tant que les idées douces et gracieuses vivront dans notre pays. Il est du reste le poète du patriotisme ainsi que de la beauté. Son chant de Bruce, et ses autres poèmes de la même nature dureront aussi long-temps que notre langue. Paix à ce grand génie outragé[1] !

  1. Plusieurs poètes écossais, nés comme Burns dans des classes inférieures, lui avaient ouvert la route ; il les a tous dépassés, et malgré l’ancienne prévention de l’Angleterre contre le dialecte de la Calédonie, devenue sa sujette, les critiques de Londres ont accepté la gloire et avoué la supériorité du chantre rustique. Notre Villon, pour la satire et l’ironie ; notre contemporain Béranger, par l’esprit, la grace, la malice, le mélange habile et touchant des idées fortes et des émotions mélancoliques, peuvent donner quelque idée de ce Robert Burns, simple faiseur de chansons populaires, et l’un des plus grands poètes lyriques que la littérature moderne ait produits. Il a chanté, comme Béranger, la liberté, le vin et l’amour ; mais il a donné bien plus de place que Béranger aux sentimens et aux peintures rustiques, aux passions violentes et ingénues qui se développent sous les toits de chaume, aux émotions et aux rêveries du paysan et du laboureur. Nous regrettons que l’auteur n’ait pas cité Marie dans le ciel, la Pâquerette des montagnes, la Souris écrasée par la charrue, et la Bacchanale des gueux, et le Samedi soir. Ce sont des chefs-d’œuvre en miniature, mais ce sont des chefs-d’œuvre ; tout s’y trouve, sentiment, ironie, profondeur, délicatesse, amour de la nature et des hommes. M. Allan Cunningham a ménagé la mé-