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LA KOUTOUDJI.

entra dans le harem, précédé de sa mère, qui portait un flambeau allumé.

Enfin le paradis du mariage allait s’ouvrir devant ses pas. Les plus douces fleurs de la volupté préparaient pour lui leurs parfums. La Koutoudji, dont son oncle le hékim lui avait vanté si éloquemment les charmes, allait enfin se montrer à lui sans voile dans tout l’éclat de sa beauté. Il touchait à ce moment de félicité suprême, et savourait déjà, avec la bouche de l’espérance, la coupe de bonheur que le ciel lui avait remplie jusqu’aux bords. Il avait même perdu la mémoire des menaces faites à son oncle dans le bois de cyprès du sérail, et cette inquiétante figure de jeune homme qu’il avait vue planer sur sa tête était bien loin de son souvenir.

Soudain la portière de velours de la chambre s’agita ; des pas légers se firent entendre… mais ce n’était pas la Koutoudji !…

Nuh-Effendi, plus pâle encore et plus effrayé que le jour où il avait vu le jeune janissaire présentant l’étrier à son neveu, s’avança comme un fantôme, et réclama de Méhémet un instant d’entretien. Après l’avoir obtenu à grand’peine :

— Tu sais, mon fils, dit le vieillard, avec quelle sollicitude je t’ai élevé depuis ta plus tendre enfance ; tu sais quelles peines cuisantes m’ont causées les écarts trop fréquens de ta jeunesse, et combien de larmes j’ai versées sur tes mauvais penchans ?…

— Passons, mon oncle, interrompit Méhémet, puisque je sais tout cela. Quelque plaisir que je goûte à vous entendre, permettez-moi de préférer la voix mélodieuse de ma jeune épouse, qui, sans doute, soupire, ainsi que moi, après l’heureux instant qui doit la mettre dans mes bras. J’aime déjà la Koutoudji comme le salut de mon ame. Demain il fera jour, et j’aurai les yeux plus ouverts pour profiter de vos leçons.

— Insensé, dit le hékim en levant les mains au ciel, à quels coupables desseins ta pensée ose-t-elle s’arrêter ? Si tu veux voir le bourreau venir demain chercher ta tête et la mienne, tu n’as qu’à poursuivre et faire entrer dans ton lit cette femme qu’on t’a donnée pour épouse. Abstiens-toi, Méhémet, de ce fruit défendu, si tu as quelque respect pour la bénédiction de ton oncle et quelque envie de voir la prospérité de notre maison. Donne-toi bien de garde de tâter d’un mets qui est réservé pour une autre table que la tienne.