Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/286

Cette page a été validée par deux contributeurs.
282
REVUE DES DEUX MONDES.

de se blottir derrière un arbre pour ne pas faire envoler le beau couple qui bravait si témérairement à cette heure la loi rigoureuse du sérail.

C’étaient en effet un jeune homme et une jeune femme qui s’arrêtèrent précisément au pied de l’arbre que le hékim avait choisi pour asile. Ne pouvant fuir ni avancer, Nuh-Effendi se vit contraint d’assister en dépit de lui-même à cette criminelle entrevue que le sabre d’un bostandji ou le poignard d’un eunuque pouvait à chaque seconde venir terminer par une scène de mort.

— Arrêtons-nous ici, disait le jeune homme, belle rose du parterre de mon amour ; l’ombre de ce bois nous sert de pavillon, et cette mousse, entremêlée de violettes, est un sofa digne de porter la reine des fleurs. Laisse-moi, mon adorée, tremper mes mains dans les ondes de ta chevelure et savourer longuement les baisers de ta bouche qui tombent sur la mienne comme des gouttes de rosée distillant d’une tulipe en fleurs.

— Mon beau lion, interrompait la jeune femme, laisse plutôt ta servante flatter de sa main ton cou victorieux ; laisse-la se regarder dans le miroir de tes yeux, où elle se voit embellie de tous les charmes de ton amour. N’est-ce pas que tu m’aimes et que tu m’aimeras toujours, et que tu ne souffriras pas que le tendre oiseau de mon cœur aille chanter tristement dans la cage d’un époux barbare et cruel ?

— Non, ma bien-aimée, les ordres de la Sultane-Validé ne s’accompliront pas, tant que ma main pourra tenir un poignard. Le Sultan, s’il le faut, entendra mes plaintes. S’il a pour moi la tendresse qu’il m’a tant de fois jurée, il me permettra de t’élever au rang de mon épouse, malgré la cruelle loi qui s’oppose à ce que je voie ma race se perpétuer sur la terre. Hélas ! à quoi servent le rang, la richesse et la beauté, s’il faut que ma pauvre ame soit condamnée à un veuvage éternel ? Le ciel peut-il vouloir que mon cœur se consume à chanter solitairement dans mon corps des mélodies qui ne seront pas entendues ? N’est-ce pas pour orner le sein des femmes que les roses fleurissent sur les églantiers, et que les perles roulent au fond des mers ? Est-ce pour s’écouter lui-même que le rossignol parle d’amour dans les jasmins sauvages ? Non, mon étoile, c’est pour t’aimer que Dieu m’a mis de ce monde. Nous sommes deux