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LA KOUTOUDJI.

d’un humble serviteur, il attendit qu’il plût à la gracieuse Sultane de lui adresser la parole. Elle daigna le faire en ces termes :

— N’as-tu pas un chien de mécréant pour neveu, qu’on appelle du nom de Baltadji-Méhémet ?

— Vous l’avez dit, chaste princesse, répondit le médecin en tremblant, le fils de ma sœur porte en effet ce nom ; mais on a trompé votre grandeur si on a prétendu que mon neveu fût un impie. C’est un jeune homme doux et docile comme un agneau, et qui aime tout au monde excepté deux choses : la mer, et les chevaux. Si ce n’est qu’on n’en pourra jamais faire ni un marin, ni un cavalier, il possède assez d’esprit et d’intelligence pour être propre à toutes choses. Voici la vérité : depuis de longues années il habite paisiblement, de l’autre côté du détroit, une petite maison que je possède à Scutari, sur la côte d’Asie, et la terreur que lui inspire la mer est si forte, que je n’ai pu le décider encore à m’accompagner une seule fois à Stamboul.

— C’est fort bien, Effendi, je te crois sur parole. Maintenant, laissons ce sujet pour y revenir en temps et lieu, et songe à répondre à une question sur laquelle je suis bien aise d’avoir ton avis.

La Validé frappa dans ses mains, et quatre femmes esclaves amenèrent devant elle une jeune fille, cachée sous un voile qui l’enveloppait de la tête aux pieds, puis les esclaves se retirèrent, et la jeune fille voilée resta seule avec le médecin et la Validé.

— Enlève ce voile, dit la sultane.

Nuh-Effendi enleva le voile, et la plus ravissante des créatures humaines parut à ses yeux. Ses cheveux noirs comme de l’encre s’échappaient à flots d’un toquet de velours rouge, bordé de pierreries, et flottaient le long de son dos. Elle était toute habillée de soie et de paillettes, et semblait à elle seule un firmament chargé d’étoiles. La chair de son visage, de son cou et de ses bras nus était un salem composé des plus belles fleurs, et sur chacune de ces fleurs le mot amour était écrit en lettres parfumées. Ses yeux, dont le bord était délicatement peint avec le plus noir surmé, s’allongeaient et se tendaient comme deux arcs de Tartarie dans les mains d’un habile tireur circassien. On aurait fait un livre de Ghazelles à la manière d’Hafiz, rien qu’avec les couleurs variées que