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qui avait été enlevée en Hongrie ; un orfèvre parisien dont le frère était établi sur le grand pont ; et un jeune homme des environs de Rouen, qui s’était trouvé à la prise de Belgrade. Il y vit aussi des Russes, des Hongrois et des Flamands. Un chantre nommé Robert, après avoir parcouru l’Asie orientale, revint mourir dans la cathédrale de Chartres. Un Tartare était fournisseur de casques dans les armées de Philippe-le-Bel. Jean de Plan-Carpin trouva près de Cayoue un gentilhomme nommé Temer, qui servait d’interprète ; plusieurs marchands de Breslaw, de Pologne, d’Autriche, l’accompagnèrent dans son voyage en Tartarie ; d’autres revinrent avec lui par la Russie, c’étaient des Génois, des Pisans, des Vénitiens… Des voyages de ce genre ne furent pas moins fréquens dans le siècle suivant… On peut bien croire que ceux dont la mémoire s’est conservée, ne sont que la moindre partie de ceux qui furent entrepris, et qu’il y eut dans le temps plus de gens en état d’exécuter des courses lointaines, que d’en écrire la relation. Beaucoup de ces aventuriers durent se fixer et mourir dans la contrée qu’ils étaient allés visiter ; d’autres revinrent dans leur patrie, aussi obscurs qu’auparavant, mais l’imagination remplie de ce qu’ils avaient vu, le racontant à leur famille, l’exagérant sans doute, mais laissant autour d’eux, au milieu de fables ridicules, des souvenirs utiles et des traditions capables de fructifier. Ainsi furent déposées en Allemagne, en Italie, en France, dans les monastères, chez les seigneurs, et jusque dans les derniers rangs de la société, des semences précieuses destinées à germer un peu plus tard. Tous ces voyageurs ignorés, portant les arts de leur patrie dans des contrées lointaines, en rapportaient d’autres connaissances non moins précieuses, et faisaient, sans s’en apercevoir, des échanges plus avantageux que tous ceux du commerce. Par là, non-seulement le trafic des soiries, des porcelaines, des denrées de l’Indoustan s’étendait et devenait plus praticable ; il s’ouvrait de nouvelles routes à l’industrie et à l’activité commerciale ; mais ce qui valait mieux encore, des mœurs étrangères, des nations inconnues, des productions extraordinaires venaient s’offrir en foule à l’esprit des Européens, resserré, depuis la chute de l’empire romain, dans un cercle trop étroit. On commença à compter pour quelque chose la plus belle, la plus peuplée et la