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PHILIPPE DE MORVELLE.

réplique, et le comte, s’apercevant qu’il prêchait dans le désert, s’arrêta lui-même et cessa de parler.

— Monsieur, dit alors le président qu’une forte distraction venait de saisir, et qui se croyait à l’audience, la cour vous donne acte ; et, se reprenant aussitôt, — l’assemblée vous remercie des explications que vous avez bien voulu lui donner.

Tout le monde se leva, et le comte sortit de cette seconde épreuve aussi mécontent que de la première. « Quelles gens ! disait-il, bon Dieu ! quelles gens ! Avec les uns il faut finir par se battre ; les autres ergotent comme des pédans, chicanent comme des procureurs, et puis s’endorment. Je crois que leurs têtes ont été taillées dans les carrières du Jura, c’est de la roche… c’est du granit… »

Au milieu de ces réflexions peu agréables, le comte de Morvelle se vit accoster dans la rue par un homme qui le salua avec un ton de parfaite politesse : — Ah ! monsieur, lui dit cet homme, ils ne vous comprennent pas ; que vous avez dû souffrir au milieu de ces esprits épais ! Moi-même j’ai bien souffert pour vous. En effet, à la faveur du clair de lune, le comte reconnut l’un des assistans, dont la mise et les manières élégantes, au milieu d’une foule de tournures empesées et de costumes de mauvais goût, avaient attiré son attention.

Malgré une taille avantageuse, l’inconnu avait dans toute sa personne quelque chose d’efféminé ; ses traits fins, mais pâles et un peu ridés, prenaient, dès qu’il ouvrait la bouche, une expression caressante ; il portait un jabot et des manchettes du plus beau point d’Angleterre, des bagues à plusieurs de ses doigts, et de petites boucles d’or à ses oreilles. Quoique ce genre de figure ne fût pas celui qui, au premier aspect, plaisait le mieux au comte de Morvelle, il répondit en homme du monde aux avances de l’étranger, et une conversation suivie s’établit entre eux.

— Monsieur, dit l’inconnu, ne croyez pas que les deux coteries que vous avez vues, règnent sur l’assemblée d’élection. Il y a des hommes sans préjugés, de véritables indépendans, et ceux-là, monsieur, vous sont acquis, je m’en porte garant ; vous en jugerez vous-même, si vous nous faites l’honneur de souper avec nous.

Le comte hésitait à répondre à cette brusque proposition, mais