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sur des tables, et criaient pour attirer les chalands. Des chanteurs de complaintes allaient et venaient comme dans une foire ; mais au lieu du fameux cantique de Geneviève de Brabant, ils chantaient sur le même air une chanson non moins bien versifiée, et qui commençait par ces mots

« Messieurs du tiers état, réunissons-nous… »
En effet, l’on aurait pu se croire à l’ouverture de la grande foire de Quingey, célèbre à dix lieues à la ronde, si tous les nouveaux arrivans, qui traversaient la ville et descendaient aux auberges, n’eussent pas offert dans leurs costumes les signes distinctifs du gentilhomme : l’épée et le chapeau galonné. C’était toute la noblesse du bailliage qui se réunissait pour procéder le lendemain à l’élection d’un député aux états-généraux. Les électeurs de la montagne venaient à cheval, suivis d’un seul valet, ou dans de petites voitures basses et tout ouvertes par le côté, suivant la mode du pays ; ceux de la plaine, et surtout les gens de familles parlementaires, avaient des équipages plus élégans et des laquais en grande livrée. Le comte de Morvelle, selon l’usage de la haute société parisienne, où la simplicité était de bon ton, arriva dans sa chaise de voyage, et se rendit d’abord chez le bailli de Quingey, personnage à qui ses fonctions donnaient en ce jour une grande importance, et avec qui le comte, dans l’intérêt de sa candidature, entretenait, depuis deux mois, une correspondance assez active. Il se trouvait alors dans son cabinet d’audience, où M. de Morvelle, après s’être nommé, fut sur-le-champ introduit.

C’était une pièce plus longue que large, dont le fond était occupé par une estrade fermée d’une petite grille en bois, et surmontée d’un grand bureau. Le magistrat était assis dans cette espèce de sanctuaire, sur les murs duquel s’élevaient en étages des rayons chargés de livres, de registres et de liasses de papiers. Le reste de la chambre n’avait pour ameublement qu’un poële de fonte, deux grands fauteuils, et des bancs recouverts de cuir tout luisant par suite du long usage qu’ils avaient fait.

Au nom de M. le comte de Morvelle, le magistrat, quittant son estrade, s’avança d’un air empressé vers la porte du cabinet, et le comte vit pour la première fois un homme qui ne lui était connu