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était encombré de peuple, et les quatre étages de balcons, tendus de drap écarlate à franges d’or, des quatre façades, qui étaient garnis d’éclatans uniformes, de brillans habits de gala, de parures de femmes éblouissantes ; — une foule innombrable était encore suspendue au balcon qui court autour des toits de toutes les maisons de la place, et les couronne ainsi qu’un diadème. À voir d’en bas cette multitude qui se penchait au-dessus de la draperie bleue de ce dernier balcon, on eût dit une épaisse chevelure relevée et soutenue par un long bandeau de soie.

Plus de soixante mille spectateurs étaient entassés dans cette immense enceinte. Plus de soixante mille regards tournés à la fois vers l’arène attendaient impatiemment l’instant où les combattans allaient y paraître.

C’est que ce ne devait pas être une course ordinaire. — Ce devait être une course royale, — une de celles qui se comptent par règnes ; — de celles qui sont comme le baptême de chaque royauté naissante ; — un baptême sanglant ! — Qu’importe, s’il est joyeux et national pour le peuple ? Non, ce ne devait point être une course ordinaire. — Outre les toreros, les athlètes habituels, on allait avoir les hallebardiers rangés dans le cirque même au-dessous de la loge royale, et les alguazils à cheval devant eux, n’ayant pour se défendre des taureaux, s’ils en étaient attaqués, — les premiers, que leurs hallebardes, — les seconds, que la vitesse de leurs montures ; — et puis les caballeros en plaza.

Les caballeros en plaza, — les chevaliers dans la place, — ne sont point des toreros de profession. Autrefois, ces chevaliers étaient des nobles des plus nobles, — des grands, pour lesquels c’était une passion et un exercice fréquent que de se mesurer contre les taureaux en présence de la cour et dans ses fêtes, et qui ne recherchaient d’autre récompense de ce danger que son seul honneur. — Aujourd’hui ce sont des amateurs, — nobles et chevaliers tout au plus, — qui combattent ces redoutables animaux, conformément à la tradition, — sans cuirasse, à cheval, avec de petites lances appelées rejoncillos. Comme cela n’a plus lieu qu’en de rares occasions, — et même uniquement lorsqu’il y a des funciones reales, — il en résulte que ceux qui s’exposent à cette lutte, déterminés seulement par l’appât d’un bénéfice assez mince, man-