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AHASVÉRUS.
L’OCÉAN.

J’y cours. À la cime du monde, il ne reste plus déjà que la tour d’un roi où il fait son banquet dans des plats de vermeil. Mon déluge entrera avant une heure dans la salle.

LE ROI, à table, au milieu de ses princes.

Le déluge, comme un lac, noie les lieux bas, il remplit l’auge des esclaves. Que l’Océan gronde, s’il veut, il ne viendra pas jusqu’ici ; mes gardes l’arrêteront à l’endroit de mon royaume.

PREMIER SATRAPE.

S’il venait, roi des rois, ce serait pour lécher la plante de vos pieds.

SECOND SATRAPE.

Ou pour vous apporter un diadème de ses perles.

LE ROI.
i.

À ma table sont assis mille rois. Toutes les grandeurs de la terre ont monté, ce matin, mon escalier. Cent dromadaires légers ont apporté sur leur dos le vin pour la soif, et cent chameaux de race le pain pour la faim.

ii.

Le vin se boira et le pain se mangera. Avant ce soir aussi, les étoiles auront fini leur banquet de lumière, et l’Océan aura versé dans sa coupe la dernière goutte de son outre. Mais nos vies de patriarches, ni ce soir, ni demain, jamais ne finiront…

Silence ! Qu’est ce bruit ? J’ai entendu, je crois, un flot qui s’approche.

PREMIER SATRAPE.

Ce n’est rien ; c’est un soupir de votre peuple.

LE ROI.

Le bruit augmente.

SECOND SATRAPE.

C’est un sanglot de votre empire.

LE ROI.
i.

Recommençons donc, en chœur, à chanter jusqu’à minuit. La pluie tombe, l’éclair brille. Sous nos yeux, la barque du monde vient se briser pour notre amusement. En mourant, l’univers, à