Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 4.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.
161
MÉTELLA.

car je n’osai jamais le regarder autrement que de profil. Ma tante m’avait dit : Sarah, regardez Olivier comme votre frère. Je me livrais donc d’abord à une joie intérieure que je croyais très légitime. Il me semblait doux d’avoir un frère, et s’il m’eût traitée tout de suite comme sa sœur, peut-être n’aurais-je jamais songé à l’aimer autrement !… Hélas ! vous voyez quel est mon malheur, Fanny ; j’aime, et je crois que je ne serai jamais unie à celui que j’aime. Pour vous dire comment j’ai eu l’imprudence d’aimer ce jeune homme, je ne le puis pas ; en vérité, je n’en sais rien moi-même, et c’est une bien affreuse fatalité de ma destinée. Imaginez-vous qu’au lieu de me parler avec la confiance et l’abandon d’un frère, il a passé plus d’un an sans m’adresser plus de trois paroles par jour, si bien que je crois que tous nos entretiens durant tout ce temps-là tiendraient à l’aise dans une page d’écriture. J’attribuais cette froideur à sa timidité ; mais, le croiriez-vous ? il m’a avoué depuis qu’il avait pour moi une espèce d’antipathie avant de me connaître. Comment peut-on haïr une personne qu’on n’a jamais vue et qui ne vous a fait aucun mal ? Cette injustice aurait dû m’empêcher de prendre de l’attachement pour lui. Eh bien ! c’est tout le contraire, et je commence à croire que l’amour est une chose tout à fait involontaire, une maladie de l’ame à laquelle tous nos raisonnemens ne peuvent rien.

« J’ai été bien long-temps sans comprendre ce qui se passait en moi. J’avais tellement peur de M. Olivier que je croyais parfois avoir aussi de l’éloignement pour lui. Je le trouvais froid et orgueilleux, et cependant, lorsqu’il parlait à ma tante, il changeait tellement d’air et de langage, il lui rendait des soins si délicats, que je ne pouvais pas m’empêcher de le croire sensible et généreux.

« Une fois, je passais au bout de la galerie, je le vis à genoux auprès de ma tante ; elle l’embrassait, et tous deux semblaient pleurer. Je passai bien vite et sans qu’on m’aperçût, mais je ne saurais vous rendre l’émotion que cette scène touchante me causa. J’en fus agitée toute la nuit, et je me surpris plusieurs fois à désirer d’avoir l’âge de ma tante, afin d’être aimée comme une mère par celui qui ne voulait pas m’aimer comme une sœur.