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dis, comme autrefois la rosée des joncs de marécage, quand le soleil l’apportait sous mes pieds. Vous le savez, les temps sont accomplis. Il y a tantôt trois mille cinq cents ans que le jugement dernier se fit dans Josaphat. Voyez au fond des cieux, la terre en tremble encore ; éperdue, elle roule et ne sait plus son chemin. Voyez si jamais une feuille tombée d’un bouleau des Ardennes, à la fête des morts, courut par plus de monts et par plus de sentiers qu’elle, en roulant sans savoir où avant de s’engouffrer dans mon puits de colère. Vous vous en souvenez. Quand l’épervier d’Allemagne ou de Judée se levait, dès le matin, au-dessus des bruyères, tout oiseau dans les champs, tout oiseau dans les villes, allait cacher sa tête sous un brin de ramée, et retenait sa voix. Voyez si tous ces mondes qui poudroient dans l’abîme, ne voudraient pas se blottir sous un sillon de chaume, ou sous l’herbe d’une source, ou sous le manteau d’un homme, tant que je tiens sur leurs nichées mes ailes étendues dans un cercle éternel. Le silence est profond. Entendez-vous, du haut de l’Empirée, ce soleil qui bourdonne si loin que la nouvelle ne lui est point encore venue, et l’hosannah des Chérubins qui tombe d’un monde sur l’autre, plus monotone que la goutte de pluie dans le lac d’une grotte ? C’est assez de repos ; encore cent ans, ce serait trop. Si l’univers est las de sa première journée, en le touchant de l’aile, mon ange Gabriel, vous irez réveiller l’ouvrier dans ma vigne. Je vous l’ai dit : la terre était mauvaise, j’en vais demain créer une autre. Je ferai cette fois l’homme d’une argile meilleure ; je le pétrirai mieux. Les arbres auront plus d’ombre, les monts seront plus hauts. Ni votre chappe, saint Hubert, ni votre lance, ni votre écu tout azuré, ni votre mitre de diamans ne brilleront autant que la lumière de demain, sur une mer d’or. Les jours seront plus longs, et votre expérience sauvera mieux ce monde de toute tentation que n’ont pu faire anciennement ni Chérubins ni Séraphins, en sortant tout candides du berceau du néant. Mais, quel que soit l’état où s’en aille tomber jamais le monde qui va naître, pour vous mieux préparer à le tenir en votre garde, je veux qu’on vous retrace ici, en figures éternelles, le bien, le mal, et tous les gestes et le sort accompli de cet univers où vous avez vécu. Je veux qu’on vous dévoile le secret que j’ai mis, de ma main, dans le creux des rochers, dans le ciel frissonnant des lacs. Je veux qu’on