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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

nationale avait été vierge jusqu’à présent d’un pareil langage. Les bénéfices des emprunts, messieurs, sont pour les juifs, et les charges sont pour les peuples. Ainsi, vous êtes bien avertis, vous l’êtes par le gouvernement lui-même. »

Devant ces attaques qui furent souvent terribles, au milieu de l’animosité des partis, quand la gauche bondissait sur ses bancs, quand Périer ou Foy lui lançaient du haut de la tribune les plus rudes apostrophes, le comparant tantôt à Law et tantôt à Terray, invoquant contre lui l’opinion et la morale publique, M. Villèle montrait une patience admirable, si elle avait pris sa source dans une conscience satisfaite et pure. Il demandait paisiblement la parole d’un signe de tête, gagnait la tribune en se dandinant, laissait s’écouler une pause pour calmer l’agitation, et commençait sa réplique d’un ton de voix très bas afin de commander le silence. Jamais il ne se lassait de paraître à cette tribune, et d’y succéder à ses adversaires. Il y montait vingt fois dans une séance, répondant à tout, ou plutôt ne répondant à rien, car dans ses ambages prolixes, il était à peu près impossible de trouver un fait, et tout l’esprit de logique et de finesse dont il était armé, il l’employait à faire perdre de vue le but véritable de la question, et à dérouter sur l’intention des propositions ministérielles ; et toujours relevé par Foy, par Périer, par Benjamin Constant, par Sébastiani, leur échappant toujours par mille ruses et mille détours, comme un renard poursuivi par une meute, il revenait aussi comme le renard au point d’où il était parti, et reprenait sa place sur son banc, en se frottant les mains, heureux d’avoir encore rendu inutile une discussion de deux heures.

Tracer le tableau des évènemens politiques du ministère de M. Villèle, ce serait écrire l’histoire presque complète des finances sous la restauration. Ne craignez pas que je vous fasse ce récit dans une simple lettre. Cette histoire serait curieuse cependant. On verrait le ministre contrarié successivement dans toutes ses grandes mesures financières par la nécessité de satisfaire le parti auquel il obéissait bien malgré lui, déployant l’intelligence la plus merveilleuse et la plus rare pour rendre moins désastreuses les opérations qu’il n’était pas maître de ne pas exécuter, s’appliquant à réparer par quelques bonnes institutions commerciales les désas-