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DU POLYTHÉISME ROMAIN.

du stoïcisme, dans des satires qui sont, à bien prendre, des méditations philosophiques, a des élans d’un spiritualisme mystique et abstrait qu’on croirait ne pouvoir jaillir que d’une âme chrétienne. Quand, dans sa seconde satire, il a tonné sur les offrandes et les prières indignes que l’on fait aux dieux, il s’écrie : Que n’offrons-nous plutôt aux immortels :

Compositum jus, fasque animo, sanctosque recessus
Mentis, et incoctum generoso pectus honesto ?
Hæc cedo ut admoveam templis et farre litabo.

Qu’est-ce que ce compositum jus, ces sanctos recessus mentis, si ce n’est l’expression de cette morale intime à laquelle le christianisme est venu donner une forme ? Et que dirons-nous de Sénèque ? Le précepteur de Néron jette dans ses écrits mille idées étrangères à l’orthodoxie antique ; il commente, retourne, altère et agrandit le stoïcisme ; il est ouvert à des pressentimens et à des conjectures qui dépassent l’antiquité ; il est inquiet, immense, tourmenté, prophétique : on le dirait penché sur l’abîme des temps nouveaux pour se délecter de sons inconnus qui lui arrivent à l’oreille et à l’âme, et pour en rendre les échos affaiblis à des générations avides de nouveauté, générations qui ont pris en dédain leurs dieux impuissans. Je passe d’autres écrivains, mais je maintiens que la pensée antique se renouvelait elle-même de fond en comble. Quel était donc ce travail ? Un mouvement naturel de l’humanité, un élan vers l’avenir qui partait du sein de sociétés déjà labourées par le destin et cicatrisées par la foudre, mais encore vivantes, mais qui, pour dernier office dans l’histoire, devaient s’avancer à la rencontre d’une vérité nouvelle éclatant sur un autre point de l’espace, et lui apporter des esprits ouverts, des intelligences préparées. Nous espérons un jour, en écrivant l’histoire, démontrer clairement combien fut naturelle l’adoption du spiritualisme chrétien par le spiritualisme antique. Tout était prêt pour cette pénétration réciproque où l’énergie de l’initiative appartenait au parti de l’hébraïque évangile, mais où la vieille société apportait une docilité salutaire, résultat d’une longue et antérieure élaboration. Le triomphe du christianisme n’a rien que de naturel, et c’est son