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fonde se fatigua bientôt d’un système avilissant et aride. Il n’eut pas la force de se dégager de cette doctrine désastreuse ; mais toutes ses facultés, tous ses sentimens lui faisaient remarquer avec douleur le besoin d’un autre ordre de pensées. Jetant un long et triste regard sur les peines sans nombre qui nous menacent et nous assiègent ; sur les maux physiques dont la présence nous accable et dont l’absence n’est pas un bien ; sur les souffrances morales, plus diversifiées et plus infatigables que les maux physiques ; sur cet avenir incertain qui plane, inconnu, mais terrible, sur nos têtes ; sur ce passé qui ne nous laisse, s’il fut heureux, que d’inutiles regrets, s’il fut malheureux, que des souvenirs lugubres ; enfin sur cette inévitable vieillesse, qui, semblable aux magiciens dont les fictions de l’orient nous parlent, s’assied dans les ténèbres, à l’extrémité de notre carrière, fixant sur nous des yeux immobiles et perçans qui nous attirent vers elle, malgré nos efforts, par je ne sais quel pouvoir occulte, Hégésias, contre tant de fléaux et contre l’inquiétude qui s’empresse de les remplacer en les poursuivant de leur image, ne vit d’asile que la mort. Il consacra toute son éloquence à recommander le suicide, et plusieurs de ses disciples furent entraînés par ses ouvrages à jeter loin d’eux le fardeau de l’existence[1]. » Désirez-vous mettre en opposition de cette poignante et admirable mélancolie ce que l’observation peut fournir de plus spirituel et de plus fin, regardez le portrait d’Atticus. « Je ne veux pas parler d’Atticus, caractère équivoque et double, sans principes et sans opinions ; délicat dans ses relations privées, mais insouciant sur les intérêts publics ; plaçant son impartialité dans l’indifférence, sa modération dans l’égoïsme ; production d’un siècle qui s’affaiblissait, avant-coureur certain d’une dégradation peu éloignée, et donnant un exemple d’autant plus funeste que, sous des formes élégantes, il apprit à la foule encore indécise et vacillante comment chacun pouvait s’isoler avec adresse, et manquer décemment à tous les devoirs. »[2]

Benjamin-Constant a représenté d’une manière fort ingénieuse la multiplication infinie des dieux, et l’embarras que suscitait cette

  1. Du Polythéisme romain, t. i, p. 202-204.
  2. Ibidem, t. ii, p. 28, 29.