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LETTRES SUR L’INDE.

entrecoupée de sentiers étroits, conduisant rapidement à de profonds précipices. J’eus la curiosité d’examiner l’un de ceux dont l’entrée paraissait le plus praticable, et après avoir attaché deux lanternes à l’extrémité d’une échelle de cordes, j’en laissai filer vingt brasses dans l’intérieur du trou. L’entrée jusqu’à la quatrième brasse était assez étroite pour me permettre de toucher les parois des rochers, soit avec les pieds, soit avec les mains ; mais vers la cinquième elle me parut s’élargir sensiblement. À cinquante pieds de profondeur, je ne sentais plus rien, malgré l’oscillation que j’imprimais à mon échelle par des secousses violentes, et parvenu à la dix-huitième brasse, c’est-à-dire à quatre-vingt-dix pieds, je me trouvai suspendu au sommet d’une voûte immense, qui me parut avoir la forme d’un cône renversé. La lueur insuffisante de mes fanaux ne m’en laissait pas voir le fond ; mais je dois croire qu’il était à une distance considérable, puisque je n’entendis qu’au bout de douze secondes le bruit produit par la chute d’une pierre que j’y laissai tomber. Remonté vers la caverne supérieure, j’en fis frapper le sol avec force dans divers endroits éloignés les uns des autres. J’entendis partout un bruit sonore qui me fit présumer que toute la caverne, peut-être même toute la montagne, reposaient sur un vaste souterrain ; et, si je ne me trompe, la caverne de Boubonne, déjà si remarquable par son étendue, le serait encore davantage, en ce qu’elle devrait son origine à la double action du feu primitif et des eaux pluviales. Ma lettre est déjà si longue, ma chère belle, que je te ferai grâce de mes observations sur les diverses températures de l’eau et de l’air dans ces deux gouffres. Tu sauras seulement qu’il était nuit quand je rejoignis ma suite. La pluie tombait encore, et il eût fallu passer la moitié de la nuit dans des bois infestés de tigres et de buffles, si j’eusse voulu retourner de suite sur mes pas. Cette idée m’effraya, attendu que j’avais une centaine de personnes sous ma responsabilité, et je pensai qu’il était plus prudent de rester jusqu’au lendemain dans la caverne du diable. J’y fis descendre tout mon monde et allumer plusieurs feux. Les Côsiah nous apportèrent des oranges, des poules, des œufs, et, après avoir fait un bon repas, je m’endormis sur le sable humide, plus profondément que bien des gens ne le font sur le duvet. Je m’étais couché en remarquant que mon bivouac souterrain ne ressemblait pas mal à l’antre de