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dinaire bien informés, assurent que, grâce au jeune prince, le Portugal retrouvera à la fois dans la personne de dona Maria une princesse pour occuper le trône et un héritier pour y monter après elle. S’il en est ainsi, le château doit en être aux regrets d’avoir enlevé du ministère de la police M. Thiers, qui y faisait merveille, et qui, après avoir tiré un si bon parti de la grossesse de la duchesse de Berry, eût peut-être prévenu cet événement aussi fatal pour la monarchie de juillet que l’autre lui a été propice et profitable.

De leur côté les légitimistes se mettent aussi en voyage. Ils vont à Prague, par bandes joyeuses, pour saluer Henri v, devenu majeur à treize ans, comme Louis xiv et Louis xv. Depuis plusieurs jours, on voit, dans quelques salons de bon lieu, les jeunes pélerins de la monarchie tombée, avec le costume qu’ils ont adopté pour cette circonstance : un habit bleu de roi garni de boutons d’or marqués d’une couronne, d’un H et d’un V. Les plus naïfs avouent sans détour qu’ils craignent beaucoup d’être mal reçus par le vieux roi Charles x, qui se plaint beaucoup de toutes ces intrigues, et s’écrie à chaque nouveau-venu, qu’on fera tant qu’il recevra quelque matin son congé de l’empereur d’Autriche. Charles x montre surtout beaucoup de colère contre les légitimistes du parti de la Gazette, et il disait récemment, avec humeur, à un noble duc accouru de Paris pour le complimenter, que le parti royaliste avait toujours eu la prétention de lui imposer ses idées, mais qu’il saurait bien le réduire. Pour mieux assurer leur bien-venue, les jeunes gens qui se rendent à Prague, parmi lesquels on remarque le jeune duc de Fitz-James et M. Alfred du Fougerais, directeur de la Mode, portent à Henri v une épée d’or ornée de cette légende : En avant ! Il est assez curieux de remarquer que cette devise est justement celle qui se trouvait en allemand (vorwaerts !) sur l’épée que l’impératrice Catherine remit à Charles x, lorsqu’elle lui donna un million et un vaisseau pour faire la conquête de la France. Le million fut mangé en intrigues, le vaisseau emporta honteusement le comte d’Artois, qui n’osa descendre à l’Île-Dieu, et l’épée, qui était enrichie de pierreries, fut vendue aux juifs d’Amsterdam. Catherine avait dit au comte d’Artois, en lui remettant cette belle épée, bénite solennellement dans la cathédrale de Saint-Pétersbourg : « Je ne vous la donnerais pas, si je n’étais pas persuadée que vous périrez plutôt que de différer de vous en servir. » Un jour, cette épée, dépouillée de ses pierreries, se retrouvera peut-être chez un brocanteur, entre l’épée que Louis xiv donna à Jacques ii, pour reconquérir l’Angleterre, et celle qu’on porte à Prague, en ce moment.

Paris n’a pas été seulement privé, pendant cette semaine, du roi Louis-Philippe, de la reine dona Maria, de M. Thiers, et de presque tous les