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REVUE. — CHRONIQUE.

M. Thiers, qui fait tout ce qu’il peut pour faire oublier qu’il l’a été, n’a pas craint, malgré l’exemple de l’empereur Nicolas, de livrer aux caprices de la mer son auguste et précieuse personne. Il a traversé la Manche par un temps fort incertain, et s’est rendu à Londres. M. de Talleyrand, qui a jadis lancé M. Thiers dans le monde politique, a fort bien reçu le jeune ministre, et a invité à dîner, en son honneur, lord Grey, et les principaux ambassadeurs. On parlera long-temps dans le monde fashionable anglais de ce curieux dîner où M. Thiers, en présence des hommes les plus instruits et les plus capables de l’Angleterre, ne craignit pas de parler constamment à voix haute, et de traiter toutes les questions avec l’abondance et la pédanterie d’un professeur. On fut surtout frappé de la haine acharnée qu’il montrait contre la presse et ses anciens amis, ses compagnons, les écrivains périodiques ; et lord Grey, placé près de M. Thiers, ne put s’empêcher de lui demander si un journal, nommé le National, se trouvait compris dans cet anathème. M. Thiers trouva la répartie fort plaisante, et pour toute réponse frappa amicalement sur le ventre du premier ministre de sa majesté britannique. On juge de l’étonnement du noble lord et de l’aristocratie européenne qui se trouvait à pareille fête. Depuis ce jour-là, M. Thiers est célèbre dans la société anglaise, et l’on ne parle que de ses bonnes manières. C’est à qui voudra être traité comme lord Grey et recevoir son petit coup sur le ventre. M. Thiers s’est montré en tout fort grand seigneur à Londres, et on l’a vu au Parc dans un carosse attelé de six chevaux. Un journal anglais le comparait, en cette occasion, à ces matelots qui viennent de toucher leur part de prise, et qui se promènent dans les rues de Londres, avec une fille à chaque bras, et suivis de deux violons.

La reine dona Maria va faire, à son tour, une apparition à Londres. On assure que l’impératrice et la jeune reine ont subi quelques froideurs de la part de nos ministres et de la cour de Louis-Philippe, qui ont vu avec peine le penchant de dona Maria pour le duc de Leuchtenberg. Ce jeune prince qu’on croyait, il y a peu de temps encore, à Naples, auprès de sa sœur, la princesse Théodolinde, a fait plusieurs visites mystérieuses à Paris, à l’hôtel de Bragance, et on l’a vu reparaître au Havre, pendant le séjour de la reine du Portugal. Il n’est même, dit-on, parti de cette ville, qu’en protestant contre l’ordre d’expulsion que lui a signifié le sous-préfet, ordre qui ne devait pas plus l’atteindre qu’il n’avait atteint sa sœur, la duchesse de Bragance. Le duc de Leuchtenberg a donc quitté la France, mais après avoir déconcerté d’une manière bien cruelle tous les projets du cabinet des Tuileries en faveur du duc de Nemours ; car des gens, d’or-