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mes, et que plusieurs portent jusqu’à douze mille oranges. Il y a sans doute un peu d’exagération là-dedans, et c’est ce dont je vais m’informer en recueillant quelques renseignemens sur la culture de ces excellens fruits. Je ne t’en parlerai que demain, parce que je n’écris que sur les lieux, afin d’être plus exact.

La petite rivière sur laquelle je me trouve sert de frontière au territoire anglais et baigne le pied des montagnes de Côsiah et de Gentya. Quand je dis qu’elle baigne, c’est une figure ou plutôt une licence de voyageur, car elle en est à quinze milles ; mais ces montagnes sont si hautes, qu’elles paraissent à la portée de la main. On les prendrait pour un mur immense, tant leur pente est rapide, et c’est sans doute pour cela que la végétation y est fort rare. Le peu d’arbres qu’on y rencontre sont réunis par petites masses dans des crevasses d’où sortent des cascades qu’on entendrait mugir d’ici, si nous avions pour aider nos oreilles des instrumens aussi parfaits que ceux qui servent à nos yeux.


Même jour, au soir.


Ainsi que je l’avais prévu en partant, nous n’arriverons à Chattak que demain. Je laisse tomber deux ancres pour n’être pas jeté la nuit contre terre. Les ténèbres sont d’une épaisseur effrayante. Il n’y a que le pied des montagnes qui soit éclairé par les exhalaisons émanées des marais ; on dirait des feux de bivouac d’une armée immense, campée le long de cette chaîne. Comme j’ai quitté le territoire anglais, je suis obligé de me garder moi-même, et je fais tirer de temps en temps un coup de fusil, pour prévenir messieurs les voleurs que j’ai de la poudre et du plomb. Voilà ce que les Anglais appellent a french politeness.


Le 12 septembre.


À sept heures, j’étais à Chattak, et, à huit, assis près d’une table bien servie, ayant deux hommes à mes côtés pour m’éventer, un troisième pour chasser les mouches, et un quatrième pour me