Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/703

Cette page a été validée par deux contributeurs.
697
LA CORNOUAILLE.

sante. Alors, dans les plus vulgaires âmes, s’éveillent quelques mouvemens d’affection et de poésie. Il y a, dans cette approche de deux existences qui vont s’unir et se mêler à jamais, je ne sais quel frémissement involontaire de tendresse et de dévoûment dont nul ne peut se défendre. — Heure sainte et ravissante où la jeune paysanne connaît aussi les douces joies d’un rêve fait à deux ! conversation charmante où vient se refléter tout ce que ces deux cœurs ont pu conserver de chaleur et d’espérances au milieu d’une atmosphère abrutissante et grossière ! lueur fugitive d’intelligence et d’amour qui ne se renouvellera pas, mais que du moins on leur laisse savourer sans contrainte, car nul n’oserait troubler ce religieux tête-à-tête, qui doit conduire deux êtres à s’adopter et à se placer côte à côte sous le joug de la vie ! Il faut que les fiancés mettent eux-mêmes un terme à leur entretien : alors ils s’approchent, en se tenant la main, vers la table où sont réunis les parens. On apporte du pain blanc, du vin, de l’eau-de-vie : le jeune garçon et la jeune fille mangent avec le même couteau et boivent dans le même verre. On arrête les bases de l’union projetée, puis l’on désigne un jour pour réunir les deux familles. Cette nouvelle entrevue, qui a encore lieu chez la jeune fille, s’appelle velladen, c’est-à-dire la vue. Ce jour les parens de la pennerès prennent leurs plus beaux habits de fête ; on cire les lits clos et les coffres de chêne noirci ; les armoires sont négligemment entr’ouvertes et laissent apercevoir le linge amassé, les couvertures de lit étalées, les pièces de six livres disposées en piles attrayantes ; on suspend au plancher les plus beaux quartiers de lard fumé, on laisse entrebâillés les bahuts gorgés de froment ; les bassines de cuivre brillent comme l’or, symétriquement suspendues aux rayons du vaisselier ; les chevaux ornés de rubans, comme au jour des foires de Lanhouarneau ou du Folgoat, nagent dans la litière devant des râteliers ruisselans de trèfle et d’ajonc pilé ; les charrues, les herses, les charriots sont artistement groupés sous la grange, et le cellier est rempli jusqu’au haut de bariques entassées… — Malheureusement toute cette opulence est le plus souvent fictive. Le linge et l’argent sont empruntés ; les chevaux, si bien repus ce jour-là, sont maigres d’un jeûne habituel ; les bariques du cellier sont vides ; — mais tout cela ne peut être remarqué par les visiteurs. La jeune fille paraissant plus riche obtient de meilleures conditions. On peut exiger une dot plus forte de la part du jeune homme, et le paysan Kernewote calcule toutes ces chances aussi bien que pourrait le faire le père de famille le mieux élevé.

Toutes ces précautions prises, le jeune homme arrive enfin avec les siens. On se salue, on se complimente, on visite la ferme et les champs, on discute les articles du contrat de mariage, et l’on en fixe le jour. Les