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comme sa vie, ceux du tailleur sont toujours plaisans ; c’est à lui qu’appartiennent de droit toutes les chroniques scandaleuses du canton ; il les dramatise, les arrange et les colporte ensuite de foyer en foyer : c’est la Gazette des tribunaux de la Cornouaille.

On conçoit facilement, d’après ce que nous venons de dire, combien le tailleur Kernewote doit être propre à conduire une affaire amoureuse. Aussi est-il l’entremetteur officiel de toutes les alliances et le dispensateur des maris, ce qui ne contribue pas peu à la haute considération dont il jouit près des jeunes filles. Dès qu’il a été chargé par un homme de porter la parole à une pennerès de la paroisse, il se rend à la ferme qu’elle habite, et tâche de la voir sans témoins. Si par hasard, sur le chemin, il aperçoit une pie, il se hâte de rentrer, car c’est un présage de trouble pour le mariage qui se ferait ce jour-là. Il attend alors au lendemain. La rencontre a l’air fortuite de sa part. Il commence par causer avec la jeune personne de la sécheresse, de la quantité de lait que lui donnent ses vaches, du prochain pardon de Scaër et des amoureux qu’elle y fera ; puis, par une transition adroite, il arrive à parler du prétendant : il vante son talent pour conduire les bœufs, rappelle la force qu’il a déployée à la dernière lutte des bannières lors de la procession de saint Laurent ; il mêle adroitement à ces éloges quelques allusions indirectes à l’argent que le jeune homme peut tenir en réserve, et aux bonnes chemises de toile écrue qu’il doit avoir dans son coffre de chêne. Il ajoute tout ce qui peut tenter une fille à marier. Combien il a bon air le dimanche avec son habit violet ; combien il sait de belles complaintes de la côte et de joyeuses chansons des montagnes ! La jeune fille écoute tout cela comme Ève écoutait les douces paroles du serpent. Elle roule avec embarras les lacets de son tablier, ou bien écorche avec distraction la baguette de sureau qui lui sert à conduire ses vaches aux champs. Le tentateur entoure son cœur de mille séductions, de mille charmantes images, et enfin quand il la voit émue, et prête à céder, il lui arrache le consentement désiré. — Parlez à mon père et à ma mère, dit la rustique Galathée, en s’enfuyant toute rouge et toute troublée. — C’est l’aveu que le prétendant lui plaît.

Les parens sont alors avertis de ce qui s’est passé. Si le jeune homme est agréé, au jour convenu, le tailleur le leur amène accompagné de son plus proche parent. Cette démarche s’appelle demande de la parole. Pendant que les chefs de famille font connaissance, les deux amans se retirent ensemble à l’autre bout de la maison, et commencent un entretien à voix basse, plein d’amour et de douces promesses. Cette heure est la plus belle dans toute la vie d’une Cornouaillaise, car c’est la seule où la fierté dédaigneuse de l’homme pour l’autre sexe fait place à une égalité cares-