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LA CORNOUAILLE.

combattent. C’est à en devenir fou, à s’aller jeter la tête la première dans le gouffre ; il semble que tout votre corps soit devenu un organe conducteur du son ; l’atmosphère a quelque chose d’électrique qui ébranle ; le promontoire même, tremblant sous vos pieds, a je ne sais quelle propriété torpéfiante qui vous prend tous les nerfs à-la-fois. Le claquement de chaque vague vous frappe au cerveau comme un marteau ; il faut se tenir la tête à deux mains pour sentir que l’on existe et pouvoir rassembler deux pensées. Long-temps, même après avoir quitté la Torche, vous entendez ce fracas d’orage bourdonner à vos oreilles, et vous demeurez, malgré vous, assourdi et stupéfié.

Du reste, la pointe de Penmarc’h est un de ces sites désolés auxquels ne manque aucun deuil, pas même celui des ruines. Des débris immenses couvrent la plage, sans que personne puisse dire quelle ville s’y éleva autrefois, sans qu’aucune légende nous donne de détails à cet égard. Le pilote seulement, en passant devant ces restes muets, vous racontera la merveilleuse histoire d’une ville submergée et dont nous ne voyons plus que ces décombres, protégés contre les flots par la hauteur du cap. Cette ville, s’il faut l’en croire, était immense et somptueuse ; il vous fera voir, au large, entre Guilvinec et Penmarc’h, à quinze ou vingt pieds sous l’eau, des pierres druidiques que l’on aperçoit dans les basses marées, et qui n’étaient autre chose que les autels de la cité engloutie. Il y a trente ans que ces pierres vénérées étaient encore l’objet d’une cérémonie religieuse : chaque année, les prêtres venaient, dans un bateau, offrir le saint-sacrifice au-dessus, tandis que la foule, accourue dans toutes les barques de la baie, priait alentour, recueillie et à genoux. Spectacle étrange, qui rappelait si vivement la transition de l’ancien culte des Celtes au culte des chrétiens ! Tableau encore plus étrange que celui de ce peuple entier priant sur cette ville morte comme sur la tombe d’un ancêtre !…


§. ii.
Superstitions, usages. — Philopen le sauvage Breton.


On conçoit facilement que la vue des côtes terribles dont nous venons de parler ait une grande influence sur le caractère des habitans ; aussi les Kernewotes des grèves sont-ils généralement plus tristes que les montagnards ; leurs habitudes et leurs superstitions se rapprochent davantage de celles du Léonnard. Sur la côte de la Cornouaille on retrouve encore les sombres traditions du naufrage et du cimetière ; moins fréquentes, moins profondément fixées dans les âmes, peut-être, qu’au pays de Léon, mais