Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
LETTRES SUR L’INDE.

chaient en tête : le premier portait la musique qui faisait un tintamarre à faire peur au diable ; les cinq autres marchaient de front chargés de flambeaux, et rendaient la nuit aussi claire que le jour ; c’est ainsi que nous sommes rentrés à Sylhet, il y a une heure.

On célébrait là une autre fête fort intéressante, celle des vœux. Toutes les femmes dont les maris ou les amans sont absens portent un lampion sur un petit autel flottant, et, après force prières, elles lancent l’autel sur l’eau. La rivière était couverte de lumières, et ses bords garnis de femmes amoureuses regardant avec inquiétude si leur offrande n’était pas renversée par le vent ou les flots, ce qui serait le présage du plus grand malheur. J’ai encore vu aujourd’hui une foule d’autres petites cérémonies fort divertissantes que je voudrais te raconter ; mais ce sera le sujet d’une autre lettre. J’ai trouvé sur mon chemin de belles plantes, de beaux insectes et des colimaçons superbes. Il faut maintenant que je change de plume et que j’endosse, comme maître Jacques, mon habit de circonstance. J’ai trouvé à Sylhet autant de lettres qu’à Dacca, une, entre autres, fort remarquable par sa platitude. Elle m’est adressée par un de ces missionnaires que j’ai fait renvoyer de Chandernagor. En bon frère apostolique, il veut se raccommoder avec moi, avant d’aller se faire empaler en Chine, et me prie par la même occasion de lui procurer une lettre d’introduction pour le consul anglais établi à Canton. Je lui rendrai ce petit service avec d’autant plus de plaisir qu’il ne lui servira à rien, et je le lui ferai payer par quelques réflexions sur le ridicule de sa mission. Est-il donc vrai que le gouvernement français envoie encore des missionnaires en Chine, pour convertir des gens aussi pieux et aussi vertueux que nous ? Ne sait-il pas depuis long-temps, ce dont je me suis assuré moi-même depuis peu, que les Indiens, les Chinois et les Malais convertis au christianisme sont la plus vile canaille qui soit en Asie ? Qu’on envoie quatre naturalistes de plus et trente missionnaires de moins, il en résultera du bien pour tout le monde, et personne ne se moquera de nous.


9 septembre.


L’épreuve du feu n’est rien, ma chère belle, auprès de ce que j’ai vu aujourd’hui. J’ai sous les yeux une nouvelle preuve de