Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.
61
LETTRES SUR L’INDE.

un palanquin au dernier commis, afin que le soleil le tue un peu moins vite. Chez nous, les plus riches ont à peine un parasol ; il faut qu’ils se cotisent quatre pour boire une bouteille de vin, et chacun d’eux barbouille autant de paperasses que tout un bureau anglais. Je reviens au Sylhet. La ville ne mérite pas d’autres détails que ceux que je t’ai donnés ; mais les habitans m’ont comblé de prévenances et je leur dois quelques mots de remercîmens. Le gouverneur de Dacca, à qui j’avais envoyé ma lettre du marquis de Hastings, vint me recevoir sur mon bazarra, et m’offrit, pour commencer, un dîner, une voiture, une maison et une paire d’éléphans. J’ai accepté le tout, et je l’ai accompagné chez lui où le couvert était mis. Je fis un profond salut à sa femme, je m’inclinai devant celle du premier juge, je fis un signe de tête à celle du second, je donnai une poignée de main à celle du collecteur, et j’accordai à peine un moment d’attention à celle du médecin, parce que, dans ce pays, la considération qu’on a pour les femmes qui ont toutes la même valeur intrinsèque est en raison du rang de leurs maris. On me demanda des nouvelles comme si j’arrivais de Paris ; j’en donnai avec toute l’effronterie d’un gazetier de Calcutta. Je ripostai aux questions politiques par des questions sur les bêtes, et je finis par arranger une belle partie de chasse, dont je te parlerai demain au retour.


8 septembre, au soir.


On m’a dit qu’il ne faut jamais

Vendre la peau du tigre avant qu’il soit par terre.

Ma chère belle, pas de tigres, pas de cerfs, pas d’éléphans, pas de parties de chasse. Il pleuvait à verse au moment de partir, et le soleil était trop chaud après la pluie. Pour nous dédommager, nous avons été l’après-dînée faire une promenade au pied des montagnes, dans un village où l’on célébrait une fête religieuse. Nos dames étaient en calèche, car les anglaises du Bengale se passeraient plutôt de chemise que de voiture, et j’en connais qui, en dix ans, n’ont