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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

Elle déroula le rideau qui enveloppait sa tête, et me regarda en face. Cette tête pâle, avec des yeux brillans de colère et ses cheveux épars, était superbe, se détachant sur la draperie rouge.

— Oh ! dit-elle les dents serrées, oh ! monsieur, votre conduite est bien atroce.

— Et que direz-vous de la vôtre, madame ?… J’avais été un an à éteindre mon amour, et j’y étais parvenu, et j’étais rentré en France avec de la vénération pour vous. Mes tortures passées, je ne m’en souvenais pas ; je ne demandais qu’à me reprendre à un autre amour, et voilà que je vous rencontre : alors ce n’est plus moi qui vais à vous, c’est vous qui marchez à moi ; c’est vous, qui venez du doigt remuer la cendre de mon cœur, et avec votre souffle chercher les étincelles de cet ancien feu. Puis, lorsqu’il est rallumé, quand vous le voyez dans ma voix, dans mes yeux, dans mes veines, partout,… à quoi vais-je vous être bon ? à quoi puis-je vous servir ? À conduire dans vos bras l’homme que vous aimez, et à cacher derrière mon manteau vos baisers adultères. Je l’ai fait cela, aveugle que j’étais ! Mais aveugle aussi que vous étiez, vous n’avez pas pensé que je n’avais qu’à soulever le manteau et que le monde entier vous verrait !… Allons, madame, c’est à vous de décider si je le ferai.

— Mais, monsieur, je ne vous aime pas, moi !…

— Ce n’est pas votre amour que je vous demande…

— Ce sera un viol, songez-y.

— Appelez la chose comme vous le voudrez !…

— Oh ! vous n’êtes pas si cruel que vous feignez de l’être ; vous aurez pitié d’une femme qui est à vos genoux. — Elle se jeta à mes pieds.

— Avez-vous eu pitié de moi, lorsque j’étais aux vôtres ?

— Mais je suis une femme, et vous êtes un homme…

— En souffrai-je moins ?

— Je vous en supplie, monsieur, rendez-moi ces lettres, au nom de Dieu…

— Je n’y crois plus…

— Au nom de l’amour que vous aviez pour moi.

— Il est éteint…

— Au nom de ce que vous avez de plus cher au monde…